Livres discutés au cercle littéraire
Livres discutés au Cercle littéraire
CERCLE LITTERAIRE de l'AFA - La Rochelle, depuis janvier 2022
SAISON 4 DU CERCLE LITTERAIRE, 2024-25
toujours à la Crêperie de Verdun (30 rue Chaudrier, premier étage), le premier mercredi de chaque mois, 16h30-18h30.
Rencontres de 2024-25 : les mercredis 4 septembre, 2 octobre, 6 novembre, 4 décembre, ...
Vous êtes les bienvenu-e-s, avec un livre à la main, ou une question à propos de livres dont vous souhaitez parler.
Nouvelle page pour la saison 2024-25. Les sélections des années antérieures sont à lire au-dessous.
Chantier Traduction littéraire
3 événements autour de Littérature et traduction (allemand-français) :
• lundi 30 septembre 2024, Journée mondiale de la traduction de l’UNESCO, conférence illustrée à 18h, salle Amos Barbot, avec la participation de Christiane Filius-Jehne (éditrice et traductrice, Dresde), sur :
Avatars des livres jeunesse à travers le temps et les langues : Erich Kästner.
• mardi 12 novembre, salle de l’Oratoire à 18h (dix-huit heures), une conférence avec Isabelle Autissier et sa traductrice Kirsten Gleinig (Hambourg), sur :
Traduction et réception des littératures océanes dans les pays germanophones.
• les 12 et 13 décembre, à la Maison des Écritures : deux journées de jeux bilingues et joutes de traduction avec des classes bilingues de collège et de lycée, avec la participation de l’écrivaine et traductrice autrichienne Sophia L. Schnack, en résidence d’écriture à La Rochelle.
2024 : Année Kafka
Plusieurs synthèses thématiques en préparation.
SAISON 4 DU CERCLE LITTERAIRE, 2024-25
ROMANS - NOUVELLES - THEATRE - HUMOUR - POLARS, THRILLERS - TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES - POÉSIE - ESSAIS - BD, ROMANS GRAPHIQUES - ENFANCE, JEUNESSE
SAISON 3 DU CERCLE LITTERAIRE, 2023-24
ROMANS - NOUVELLES - THEATRE - HUMOUR - POLARS, THRILLERS - TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES - POÉSIE - ESSAIS - BD, ROMANS GRAPHIQUES
ROMANS
ABEL Susanne, Stay away from Gretchen. Eine unmögliche Liebe. DTV 2021, 528 p. https://www.lesen.bayern.de/9783423282598/
https://www.dtv.de/buch/stay-away-from-gretchen
Tomer DOTAN DREYFUS, Birobidschan, Voland & Quist, Berlin & Dresden, 2023 (sélectionné DBPreis 2023). Ce magnifique roman fait revivre la contrée de Sibérie orientale près de la frontière chinoise, où avait été créé en 1928 un territoire autonome pour y concentrer les Juifs de Russie. Il narre une histoire faite de multiples histoires, des années 30 à aujourd’hui, sur 3 ou 4 générations. Dans ce lieu isolé vit une communauté autoorganisée, proche de la nature et laïque, avec ses valeurs de solidarité et d’affection entre ses membres, dans une paix seulement troublée par les rares incursions de gens venus d’ailleurs. On voit évoluer de beaux personnages complexes et leurs points de vue singuliers. Les femmes sont au centre de la vie communautaire, car vient un moment où “les hommes ne revenaient plus”, puis tout un contingent d’orphelins sont amenés par le train, et pris en charge dans les familles. Lieu favorable à l’imagination : la taïga sibérienne sans fin, les autochtones de la taïga et leurs chamanes, et quelque part le trou du cataclysme de la Toungouska. Les événements sont distillés en 81 brefs chapitres dans le désordre, reliés par associations d’idées ou contrastes. Le lecteur reconstitue le destin des personnages et les événements dans leur logique en reliant des épisodes disjoints par divers indices. La frontière entre le monde “réel” et les mondes oniriques ou hallucinés des personnages est floue, des entités imaginaires ou invisibles parlent à certains. Thèmes récurrents traversant le livre : le temps, mémoire et oubli, vérité ou mensonge, autoorganisation d’une communauté utopique, monde extérieur porteur de violence. Il se dégage de ce roman superbement écrit, dans la veine du réalisme magique, avec chaleur et humour, et des nombreux dialogues permettant de varier les points de vue, un charme nostalgique, et une fascination pour les pouvoirs de l’imagination.
Tomer GARDI, Broken German, Roman. Literaturverlag Droschl, Graz-Wien 2016. Ce livre facétieux joue avec les voix narratives de jeunes immigrés, qui se voient reprocher de ne pas parler allemand : ils parlent, mais en mettant les genres au hasard, ils inventent des mots d’allemand selon leurs besoins, se font un dictionnaire collaboratif de ces mots entre potes, ils inventent aussi des concepts, que la langue allemande leur permet de forger, preuve qu’il se sont approprié la langue. Pour la grammaire, on retrouve les modifications théorisées dans Deutsch für alle d’Abbas Khider. Le personnage principal, un israélien immigré en Allemagne, écrit les premiers jets de son roman quand il trouve une cabine libre au Call center multiculturel. Il veut devenir auteur et arrache ses textes à l’imprimante du lieu chapitre par chapitre, moments d’écriture volés à la vie de la rue et des quartiers multilingues de Berlin. Divagations dans la ville, et dans un bar, sur sa future vie d’écrivain allemand. On dérive vers un polar quand le héros se cache la nuit dans un placard à balais du musée juif (pour son roman), où est découvert un vrai cadavre. Interpellation, enquête… On s’y croit, dans ces groupes multilingues de jeunes qui s’inventent leur vie en langue allemande. C’est raconté avec un humour, une inventivité, un sens des rebondissements, qui font aimer ces quartiers où ça pulse.
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Tomer GARDI, Eine runde Sache, Roman. Literaturverlag Droschl, Graz-Wien 2021. Prix du Salon du livre de Leipzig 2022. Livre écrit moitié en Broken German (Ire partie), moitié en hébreu traduit en allemand (IIème partie). Partie I : Un apprenti écrivain berlinois immigré d’Israël se perd dans une forêt avec un chien parlant qu’il a pu museler pour échapper à ses crocs. Ils y rencontrent un SDF des bois (der Erlkönig), qui ne s’exprime qu’en vers rimés, ce qui donne de croustillants dialogues interlinguistiques dans leurs déambulations. Ils déboulent dans une bourgade inconnue où ils crèvent misère, puis le chien les entraîne vers une arche de Noé sous un orage infernal. Partie II : en Indonésie, colonie hollandaise, au 18e siècle, un fils de prince javanais destitué par les colonisateurs, dessinateur précoce, est envoyé en Hollande pour se former comme peintre, alors que les troupes hollandaises matent dans le sang une révolte des indigènes pour pérenniser leur modèle d’exploitation industrielle des produits ‘coloniaux’. Seul dans une société blanche, sa position d’artiste protégé du pouvoir le sauve, et il devient un peintre favori des cours princières allemandes qui le libèrent de sa tutelle hollandaise. Jusqu’à ce que les révolutions de 1848 le laissent renvoyer en Indonésie par ses maîtres - où il retourne au néant. Roman ébouriffant de liberté créatrice, sur les rapports de force entre individus et entre sociétés, le colonialisme, les relations entre puissants et courtisans. Ces thèmes unissent mine de rien les deux volets sans rapport apparent, en une “chose ronde”, réflexion sur la violence du pouvoir. On y retrouve un exceptionnel talent de narrateur : situations cocasses, enchaînement de catastrophes, dialogues humoristiques…
Dinçer GÜÇYETER, Unser Deutschland-märchen, mikrotext Verlag, Leipziger Buchpreis 2023, 216 p. https://mikrotext.de/book/dincer-guecyeter-unser-deutschlandmaerchen-roman/
Elke HEIDENREICH, Frau Doktor Moormann und ich, Hanser-Verlag 2023. (Prix 2023 : Die 100 Besten Kinder- und Jugendbücher, Münchner Bücherschau).
Hermann HESSE, Siddharta, roman philosophique (1922). Siddhartha fils d'une famille de brahmane aisée, part à la recherche de lui-même, il rejoint une troupe de shramanas, moines errants et mendiants, et croise sur son chemin le Gotama, le bouddha historique. Au cours de cette longue errance il va connaître le monde des marchands et celui du plaisir et des raffinements avec une courtisane. Il va surtout se lier d'amitié avec le passeur du fleuve qui transporte les voyageurs d'une rive à l'autre, le passeur, personnage incontournable dans toutes les mythologies humaines : passer le pont, passer de l'autre côté du miroir, accompagner les âmes sur les rives de la mort et de l'éternité. Le livre est une quête, un voyage initiatique dans le monde des passions et parfois de la folie. Un livre parfois difficile à lire, qui n'apporte pas de réponses mais invite à se mettre soi-même en mouvement.
Bezad Karim KHANI, Hund, Wolf, Schakal., Hanser-Verlag, Berlin 2022, [non traduit]. Quiconque apprécie la langue allemande ne peut qu'adorer le roman Hund, Wolf, Schakal, (Chien, loup, chacal) de l´auteur germano-iranien Behzad Karim KHANI. Il nous offre, dans ce récit, en quatre-vingt chapitres, partiellement "autofictionnel", à l´arrière-plan migratoire, un aperçu de la criminalité à Berlin-Kreuzberg. Il développe, avec une grande finesse d´analyse et une incroyable inventivité linguistique, sa vision de la brutalité et de la déshumanisation dans le monde des dealers et gangs de la drogue. Même s´il reste toujours une étincelle d'espoir, lorsque l'on observe les actes les plus odieux, éclairés de l'intérieur, avec une indulgence intelligente, il faut la fermeté et le courage de les combattre. Les cadavres de tous ceux qui cherchent à s´imposer et à en imposer par la violence, ne peuvent pas ressusciter, et nous font entrevoir la valeur d´une vie banale, faite d´affection familiale et d´une précieuse liberté.
Angelika KLÜSSENDORF, Risse, Piper Verlag, München 2023 (non traduit). „Risse“ (fissures, fêlures, déchirures) est le récit des traumatismes subis, dans l´enfance et l´adolescence, par une jeune fille – das Mädchen – « es », un être neutre, comme le veut le genre grammatical allemand, une chose, sans vie propre, ballotée entre des parents égoïstes, qui absorbent, tour à tour, sa joie de vivre, son énergie vitale. « La misère rend les forts sublimes, et les faibles infâmes. » La misère est celle de la RDA, où, dans l´attente de jours meilleurs, on est privé de tout, les infâmes sont ses parents, qui la privent d´attention et d´amour, l´entraînent dans leurs combines pitoyables, pour satisfaire leurs besoins et addictions. Sa mère la pousse à voler, mais s´en distancie lorsqu´il s´agit de la défendre, couche même, plus tard, avec son fiancé. Son père, alcoolique déprimé et suicidaire, violeur de sa meilleure amie, finit par l’entraîner dans sa dernière tentative de suicide, réussie, dont elle n´échappe que de justesse. Ces souvenirs autofictionnels semblent trahir un attachement immérité, mais toujours intact, pour ces parents toxiques. Magnifique plongée verbale, ponctuée de quelques réflexions, en italiques, de l´auteure adulte sur ce passé de souffrance et d´indigence, où le « ça » devient « moi », sous la supervision d'un émoi maîtrisé, qui répare plus qu´il ne venge.
Jean-Pierre MAUREL, Le Règlement, Gallimard 1993, poche Le Serpent à Plumes 2007. auteur français mais sur l’Autriche. “Dans une grange du Tyrol, un adolescent bossu tombe au fond d'un immense tonneau vide et pousse un cri. Son compagnon de jeu, le narrateur, réentend ce cri vingt ans plus tard, à Chartres. Loin de la beauté inutile et perverse des paysages autrichiens, c'est à Chartres que ce récit reprend sens, que les souvenirs se réinsèrent dans la trame d'une vie. Chartres qui, au fil des pages, affirme une présence écrasante. La ville est regardée et décrite par le narrateur comme l'Autriche par Thomas Bernhard : avec une impitoyable virulence. C'est d'une demeure chartraine, au voisinage de la cathédrale la plus belle du monde, qu'est lancé le suspense d'une véritable enquête littéraire en territoire autrichien, et c'est dans le kitsch de la maison Picassiette qu'il se dénouera.” (4e de couv.)
Stefan MOSTER, Die Unmöglichkeit des vierhändigen Spiels, Mare Verlag 2009. Stefan Moster, né en 1964, traducteur de finlandais en allemand, a longtemps vécu en Finlande. Il a reçu en tant que traducteur de nombreux prix. Die Unmöglichkeit des vierhändigen Spiels est son premier livre. Almut, psychologue à la dérive de l'ex-Allemagne de l'est, s'est embarquée sur un gigantesque bateau de croisière en tant que « coach de vie ». A travers son récit, on découvre de l'intérieur le quotidien du bateau et l'existence de ses passagers. C'est caustique à souhait sur les Allemands en voyage et sur la société à deux niveaux que constitue un bateau de croisière. La deuxième voix du livre est celle de Sebastian, dont on comprend qu'il s'agit de son fils, parti en claquant la porte des mois avant. Celui-ci est maintenant pianiste sur un grand bateau de croisière,... qui s'avère être le même. Si le lecteur comprend vite la situation, les personnages ne se retrouvent que très tardivement à la faveur d'une tempête aux environs du Cap Horn. La relation de la mère avec son fils est notamment liée à leur interprétation commune de la sonate en fa mineur de Schubert. S'y ajoute le contrepoint formé par le livre de H. Böll Gruppenbild mit Dame. J'ai aimé ce ton direct et parfois naïf, doublé d'une critique acerbe de l'Allemagne. C'est un peu long et il y a quelques épisodes gratuits, mais cela reste merveilleux à lire.
Necati ÖZIRI, Vatermal, claassen, 2023. Un homme allemand d’origine turque, hospitalisé, reçoit alternativement les visites de sa mère et de sa sœur qui font tout pour s’éviter. Dans le roman il s’adresse à Metin, le père qu’il ne connaît pas parce qu’il les a abandonnés pour retourner en Turquie malgré les menaces pesant sur lui. Le narrateur, en évoquant son enfance et son adolescence, ainsi que celles de sa sœur, et l’adolescence de sa mère en Turquie, la venue de celle-ci en Allemagne, la rencontre avec son futur mari, tente de comprendre la décision de son père. Beaucoup de chapitres commencent ou se terminent par des scènes à l’hôpital où le narrateur subit des examens. Le fil rouge : comment réconcilier mère et fille ? Chaque chapitre explore le passé de la mère, de la sœur ou de lui-même, comme un puzzle reconstituant cette affaire familiale pour l’expliquer. Il offre également un portrait des travailleurs immigrés en Allemagne, avec leur humiliation quasi-quotidienne par la bureaucratie, la négation de leurs rêves, les contrôles de police, le racisme parfois, mais aussi l’amitié avec les copains aux destins variés. Ce n’est pas larmoyant, le narrateur est tour à tour en colère, mesuré, plein d’amour ; c’est parfois comique et souvent mélancolique, dans une langue allemande parsemée de mots turcs, conférant aux dialogues de l’authenticité.
Wolfgang PAALEN, L’axolotl. Trad. de l’allemand Marianne Dautrey. Les éditions du Chemin de Fer, 2024. Postface : Jeux de dames et coups de dés, de Gilles A. Tiberghien. Gravures de l’auteur. Cahier photos couleur entre texte et postface. Un grand créateur, viennois exilé à la montée du nazisme, plasticien, surréaliste, théoricien du mouvement artistique latino-américain, suicide en 1959. Effacé des mémoires, résurrection publique 60 ans après sa mort = en 2019, par 3 expositions : Mexico (pays où il est mort et où dorment ses archives); Vienne (grande exposition au Musée du Belvédère); Paris (Centre Pompidou), … et par ce livre. Ce court roman posthume, écrit dans sa langue maternelle, apparenté au réalisme magique de la littérature latino-américaine (Borges, Carpentier, Cortazar), était resté dans ses papiers. Deux niveaux narratifs : - récit enchâssant, un jeune médecin part à cheval dans les hauts-plateaux mexicains à la recherche d’un talisman archéologique : une figure gémellaire en obsidienne. Dans une hacienda endormie, deux frères barricadés dans leur solitude, et deux grands portraits de femmes identiques aux deux bouts du salon. - récit enchâssé : d’où provient la malédiction de ce lieu ? L’un des frères, grabataire, lui confie son histoire : celle d’un double amour des deux frères pour deux jumelles… Intrigue à suspense, retournements. Motif du double. Qui est qui ? Et qu’est l’amour, si je ne sais pas qui ELLE est ? La figure de L’axolotl, c’est aussi cet éternel exilé qui se jette dans la création, se réinvente, puis s’épuise, et devance la mort.
Erich Maria REMARQUE, A l’ouest rien de nouveau, (Im Westen nichts Neues, Ullstein Verlag 1929), Livre de Poche. Paul B, très jeune homme originaire de Basse-Saxe, s'engage volontairement dès 1914 avec une dizaine de camarades de classe, sous l'influence de son maître Kantorek. Le livre a été brûlé lors des autodafés de 1933 à Berlin, taxé de pacifisme donc défaitiste et contraire à l'esprit allemand. Le livre est certes un sévère réquisitoire contre la guerre. Paul le narrateur décrit le quotidien des tranchées, des rats, des blessés, des agonies, des hôpitaux, des mutilés. Ce n'est pas pour autant une apologie de la paix ou une diatribe contre l'empire wilhelmien. Mais ce qui est probablement insupportable pour Mr Goebbels, c'est que dans cet enfer Paul garde son jugement, son libre-arbitre, il prend ses distances avec Kantorek son ancien instituteur et son bourrage de crâne. Même sous le déluge de bombes, Paul garde son esprit critique vis-à-vis des professeurs, des élites et de son commandement. La guerre provoque chez lui une prise de conscience, une rébellion. Dans la guerre Paul devient un homme libre. Le livre est subversif, anarchiste, libertaire et annonce les révolutions spartakistes. Jamais Paul n'envisage ni désobéissance, ni mutinerie. L'ennemi c'est l'élite qui incarne l'ordre et l'autorité, qui lui ont volé son insouciance et sa jeunesse. La désobéissance c'est la démerde au quotidien: piquer des gorets et des oies dans les cours de ferme; obtenir une piqure de morphine par l'infirmier contre un cigare; faire l'amour avec une femme contre du pain et du saucisson, la démerde pour survivre et rester humain.
Kathrin RÖGGLA, Laufendes Verfahren, S. Fischer Verlage 2023. Quelques personnes assistent pendant des années au procès du NSU ; c'est le procès d'un groupuscule néo-nazi ayant assassiné des Turcs en Allemagne sur une très longue période, notamment parce que la police attribuait chacun des meurtres successifs à des règlements de compte mafieux entre les Turcs. La perspective est celle des spectateurs de la galerie du tribunal venus voir comment la justice s'exerce en Allemagne. Le récit évoque donc le déroulement du procès ; c'est un processus lent, technique et fastidieux dont les spectateurs se demandent à la fin s'il correspond ou non à l'exercice de la justice. Il semble que le procès aboutisse surtout au remplissage de centaines de dossiers. Le petit groupe de spectateurs est également le sujet du livre : ce qu'ils sont venus chercher en assistant à ce procès, qui ils sont et ce en quoi ce procès les change, leurs interactions au sujet du procès, leur fonctionnement de « groupe » de citoyens. Parmi eux il y a des Allemands mais aussi au moins une Turque. La construction du livre et la manière de d'entremêler les récits des différents témoins rendent le livre assez confus, de même que sa perspective « journalistique », qui accumule faits et propos sans donner de perspective ; finalement bien des aspects à la fois sur ce procès lui-même et sur la culture allemande échappent au lecteur.
Joseph ROTH, Die Rebellion, Diogenes Verlag, 2021. (1ère édition, 1924). Traduction fr. d’une version antérieure : La Rébellion, Seuil, 1991, par Dominique Dubuy et Claude Riehl. Ce roman raconte les tribulations d’Andreas Pum, soldat lors de la Première guerre mondiale, revenu des tranchées avec une jambe de moins mais une décoration militaire sur la poitrine, ce qui le satisfait pleinement. Il est dans une grande ville (Vienne? Berlin ?) et sa foi dans la loi et le gouvernement lui fait espérer une prothèse et un emploi. Un peu par hasard, il obtient une « licence », l’autorisation de jouer de l’orgue de barbarie dans les rues, mais pas de prothèse. Puis il se marie et est l’homme le plus heureux du monde … jusqu’à l’altercation dans un tramway avec un « monsieur de la haute », qui le traite de simulateur et de bolchevique. Ce dernier pense que tous les invalides de guerre sont des simulateurs. Sont d’accord avec lui le contrôleur et le policier appelé en renfort, si bien qu’Andreas, victime d’injustice, explose et se met à frapper le policier de sa béquille. C’est le début de la rébellion et de la descente aux enfers : Andreas Pum fait de la prison, sa femme le laisse tomber. C’est aussi la fin de sa foi dans l’ordre du monde et de sa confiance dans les institutions. Au fil des aventures d’Andreas Pum se dessine un portrait des tensions dans une société déboussolée après un grand chambardement (la guerre et l’effondrement de l’Empire). Andreas Pum est un naïf, dépeint avec tendresse et humour qui, aveuglé par sa foi dans la loi des hommes, ouvre les yeux dans l’obscurité de sa prison. Le style alterne des phrases très courtes et percutantes avec des envolées (parfois) lyriques dans des phrases amples.
Joseph ROTH (1894-1939), Die Flucht ohne Ende, Kiepenheuer Verlag. Trad. fr. La Fuite sans fin, Gallimard, coll. L'imaginaire. Ecrit et publié en 1927. Franz Tunda, lieutenant de l’armée autrichienne, a été fait prisonnier en 1916 par l’armée russe, s’est échappé et vit plusieurs années caché dans la forêt sibérienne avec un Polonais silencieux, Baranowicz. Tunda se fait passer pour son frère. Quand la double nouvelle de la paix et de la révolution lui parvient au printemps de 1919, Tunda décide de rejoindre l’Autriche, notamment dans l’espoir d’y retrouver Irène sa fiancée d’avant la guerre. Pris par les Russes blancs et libéré par les rouges, il reste avec eux pour l’amour d'une jeune révolutionnaire, Natascha. Entre temps, Irène, qui a longtemps attendu Tunda, se marie. Une fois la révolution victorieuse, Tunda s’installe à Bakou, où il est régisseur de films pour un organisme d’état. Il y passe quelques années dans une sorte d’hébétude mentale. Le passage de trois Français fait resurgir en lui l’Autrichien Tunda. Il se rend alors à Moscou, se fait reconnaître sous sa vraie identité et obtient de se faire rapatrier. Il arrive tout désorienté à Vienne en 1926, où il sent étranger. Il part rendre visite à son frère Georg, maître de chapelle dans une ville du Rhin en Allemagne. Franz observe la société dans laquelle vit Georg, se demandant où est la culture. Il y passe pour un ancien disparu de la guerre, revenu de Sibérie. En effet, il tait toutes ses années révolutionnaires et celles au service de l’état soviétique. Puis Tunda rejoint le narrateur à Berlin, car celui-ci y a vu Irène. Il découvre cette ville si différente du reste de l’Allemagne. Toujours à la recherche d’Irène, puisqu’il faut bien se donner un but, Tunda se rend à Paris. Il entre alors en contact avec la bonne société française dont il ressent très fortement la structuration en classes. Il croise un jour Irène, mais celle-ci ne le reconnaît pas. Baranowicz propose par lettre à Tunda de le rejoindre en Sibérie, mais il préfère rester à Paris, où il n’a rien et se sent si totalement superflu. Le personnage central est perdu dans le monde d'après la première guerre mondiale, voué à une fuite en avant sans objet.
Tonio SCHACHINGER, Echtzeitalter, Rowohlt, Hamburg 2023. Ce livre primé en 2023 par le Deutscher Buchpreis est un roman d’apprentissage dans la tradition des grands auteurs germanophones tels que Hesse ou Musil. On y suit Till, un jeune homme plutôt médiocre, qui tente de trouver sa place au sein de la société autrichienne actuelle et porte un regard assez lucide et relativement grinçant sur le monde qui l’entoure. L’action se situe dans un établissement scolaire élitiste aux exigences délirantes : les élèves doivent notamment composer avec Herr Dolinar, un professeur despotique, peu enclin à la bienveillance, mais dont les méthodes pédagogiques d’un autre âge donnent lieu à des descriptions fort distrayantes. Till a une passion : le gaming. Le titre de cette œuvre fait référence à cette activité, mais aussi à l’immédiateté, un concept propre à notre époque et surtout à la jeune génération. Ce roman est sous-tendu par une tonalité critique et teintée d’autodérision, qui rappelle parfois le style de Robert Menasse. Enfin, un dernier aspect et non des moindres : l’auteur de ce livre aime la littérature, et à travers les lectures imposées à son personnage principal, il multiplie les références ou hommages à différents auteurs. C’est un exercice de mise en abyme très réussi !
Judith SCHALANSKY, Der Hals der Giraffe, Bildungsroman. Suhrkamp Vlg 2011.
https://www.suhrkamp.de/buch/judith-schalansky-der-hals-der-giraffe-t-9783518421772
Sylvie SCHENK, Maman, Hanser Vlg 2023, 176 p. finaliste DBP 2023.
https://www.hanser-literaturverlage.de/buch/maman/978-3-446-27623-9/
Bernhard SCHLINK, Die Enkelin, Diogenes, Zürich, 2021, 368 p. La petite-fille, Gallimard 2023, trad. Bernard Lortholary, 338 p. Analyses croisées des participants au Cercle litté (janvier-mars 2024).
Bernhard SCHLINK, Olga, folio 2020. Gallimard 2019. V O Olga, Diogenes Verlag Zürich 2018, 320 p..
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Du-monde-entier/Olga
https://www.gallimard.fr/Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien-Bernhard-Schlink.-Olga#
Bernhard SCHLINK„ Das späte Leben, Diogenes Verlag Zürich, 2023. (pas encore traduit ?) Dans son dernier roman (en date), Schlink confie à son protagoniste, Martin, octogénaire, comme lui, mais atteint d´un cancer incurable, de transmettre à son fils, âgé de six ans, ses sagesses tardives, dans une lettre qu´il est censé lire quand il sera en âge de les comprendre. De beaux passages roboratifs, mais pas d´équanimité bouddhiste ou de recettes pour atteindre une ataraxie existentielle : quelques remarques amères sur l´amour, la nécessité de s´affirmer, la religion et la justice, mais surtout des recommandations factuelles, à la limite de la caricature, pour faire revivre un fauteuil familial et entretenir un tas de compost, en guise de préoccupation écologique. Trompé par sa très jeune femme, artiste, Martin, surmontant sa jalousie, se transforme en détective, pour débusquer son rival, (cf. l´« Autre »), qu´il voudrait charger, après sa disparition, d´une succession « familiale » ! Il emploie aussi un détective pour rechercher, en vue d´une réconciliation réparatrice, le père de son épouse, qui s´est éclipsé, après une accusation abusive d´inceste. Schlink nous épargne les derniers instants de Martin, que celui-ci décide de vivre dans une institution spécialisée, pour éviter à son épouse le spectacle de la dégradation mentale et de la souffrance dans le repli physique. On aurait aimé, outre le ressenti du personnage principal, très égocentré, une approche approfondie du personnage de la jeune épouse incomprise, qui reste psychologiquement falot, et aurait pu donner lieu, aussi, à un développement sur l´art, domaine de la transmission humaine par excellence… La substantifique sagesse : accepter la vie comme le simple déroulement d´une succession d'évènements, auxquels on échoue à trouver un sens « métaphysique ».
Robert SEETHALER, Ein ganzes Leben, Hanser Vlg 2014. Trad. fr. Une vie entière, Sabine Wespieser 2015. Robert Seethaler, né en 1966 à Vienne, écrivain, scénariste et acteur autrichien, partage son temps entre Berlin et Vienne. Le roman suit la vie d’Andreas Egger de son enfance à sa mort à 79 ans, dans une vallée isolée des Alpes autrichiennes. Orphelin, il est confié à son oncle fermier à l’âge de 5 ans. Estropié suite aux mauvais traitements, il a peu fréquenté l’école et n’a d’avenir que comme garçon de ferme. Heureusement, fort physiquement et psychologiquement, il parvient à se soustraire à la tyrannie de son oncle. Homme à tout faire, il suit son petit bonhomme de chemin, droit et honnête, en homme simple qui vit en marge, se contente de peu mais aime la vie. Il va être rudement touché par les aléas de l’histoire, auxquels il fait face avec philosophie et humanité. Avec lui nous suivons l’évolution de la vie dans les Alpes autrichiennes : l’installation des téléphériques, la montée du nazisme, la guerre… Le village perdu du début du siècle va s’ouvrir à la modernité avec l’arrivée de l’électricité, la télévision, la mutation de l’agriculture de montagne en activité touristique. Dans ce court roman, Robert Seethaler dresse un très beau portrait d’un homme dans son époque, qui résiste aux épreuves traversées. La lecture est fluide, tout s’enchaîne sans heurts, dans le rapport entre l’homme et la nature, sans tomber dans les clichés du « Heimatroman ». Robert Seethaler explique : »Je voulais raconter l’histoire d’une personne qui subit une très grande perte, tenter de deviner ce qu’un humain était capable de supporter. Andreas Egger est quelqu’un de très pragmatique et c’est dans la montagne qu’il se trouve lui-même. « Adapté au cinéma par Hans Steinbichler en 2023.
Uwe TIMM, Rot. Kiepenheuer & Witsch, Köln 2001. https://www.kiwi-verlag.de/buch/uwe-timm-rot-9783462308808
TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES
Guy BOLEY, A ma sœur et unique, Grasset 2023. Dans un style parfois agaçant, grandiloquent, excessif dans ses accumulations lexicales, Guy Boley retrace la biographie d'un personnage sulfureux, Elisabeth Förster-Nietzsche, la sœur du philosophe. Le récit débute à Turin le 3 janvier 1889, le jour où Friedrich Nietzsche sombre définitivement dans un état de douloureuse léthargie. Sa sœur a été constamment à ses côtés dans ses jeunes années, travaillant pour lui, le suivant dans ses déplacements, partageant ses amitiés - elle devient très proche de la famille de Richard Wagner. Elle épouse un certain Bernhard Förster, enseignant berlinois, antisémite virulent qui est impliqué dans une querelle fameuse, l'affaire Kantorowicz, l'équivalent pour l'Allemagne de l'Affaire Dreyfus. Förster est renvoyé de son poste pour "agitation raciste”. Il décide de quitter l'Allemagne pour le Paraguay, qui sort d'une guerre catastrophique ayant conduit à la ruine du pays. Mais, totalement ignorant des exigences de la fonction de colonisateur, il fait faillite et se suicide. Elisabeth, contrainte de revenir en Allemagne, décide de se consacrer à son frère, réduit à un état végétatif, et à son œuvre. Rien ne la fait reculer dans son délire nationaliste, elle opère des retouches dans les éditions, crée les Archives Nietzsche, fait même payer les visiteurs pour aller voir le frère sur son grabat - au total 7 ans jusqu'à la mort de l'écrivain. Les amis de Nietzsche, dont le fidèle Overbeck, sont obligés de cacher les inédits. Elle meurt en 1935, après avoir adhéré au parti nazi. Hitler assiste à ses funérailles. URL éditeur : https://www.grasset.fr/livre/ma-soeur-et-unique-9782246835332/
Wolfgang FLEISCHER, Das verleugnete Leben. Die Biographie des Heimito von Doderer. Kremayr & Scheriau, Wien 1996, ISBN 3-218-00619-8. Qui est Heimito von Doderer (1896-1966), qui a notamment écrit Die Strudelhofstiege, monument de la littérature du XXème siècle? Quelques éléments : beaucoup de travail pendant des années, un goût pour l'écriture et une exigence énormes, la nostalgie du passé, une grande capacité d'observation des gens — revers de la médaille d'un homme qui délègue les tâches matérielles et le poids de sa subsistance à d'autres, qui fuit la vie dans l'écriture, a une conscience de soi très élitiste, se place en retrait par rapport aux événements, et cultive une tendance voyeuriste. Sans évoquer sa façon d'être avec les femmes, qu'il voit comme des objets sexuels, ni son adhésion précoce et utilitariste au parti nazi, adhésionconservée dans la durée, sans considération aucune de ce que cela signifiait concrètement pour beaucoup de gens. Le personnage, imbu de lui-même, aveugle aux autres, très attaché à la cigarette et à l'alcool, était par ailleurs un parfait homme du monde, un charmeur, un lecteur attentif, …
Harald JÄHNER, Le temps des loups, L'Allemagne et les Allemands (1945-1955), Actes Sud, 2024, trad.fr. x Olivier Mannoni. Vs orig. Wolfzeit. Deutschland und die Deutschen 1945-1955, Rowohlt Berlin Verlag, 2019. Prix de la Foire du livre de Leipzig 2019, catégorie Essais. L'auteur, Harald Jähner, journaliste, fut responsable de la rubrique culturelle de la Berliner Zeitung. Son livre évoque l'histoire politique de l'immédiat après-guerre, mais surtout la vie sociale et culturelle : la frénésie de vivre de la jeunesse, de renouer avec l'insouciance, de danser sur le jazz - naguère proscrit, le mariage de l'avant-garde artistique et du design industriel, incarné par la table en forme de rein, un symbole selon lui de toute l'époque, objet dénazifié, asymétrique et rigolo, aux antipodes du style puissant et massif de la chancellerie du Reich. Un livre fascinant, richement illustré de plus de cinquante photos.
Erich KÄSTNER (1899-1974), Über das Verbrennen von Büchern. Atrium Verlag 2013. Dans ce recueil non traduit en français, l’éditeur a réuni, à l’occasion du 80ème anniversaire des autodafés de livres du 10 mai 1933 à Berlin et dans d’autres villes universitaires d’Allemagne, quatre textes : Kann man Bücher verbrennen? Zum Jubiläum einer Schandtat (1947); Ūber das Verbrennen von Büchern (1958); Lesestoff, Zündstoff, Brennstoff (1965), Briefe in die Röhrchenstraße (1946) d’Erich Kästner.
https://www.w1-media.de/produkte/ueber-das-verbrennen-von-buechern-1696?verlag=atrium
Norman OHLER, Der totale Rausch. Drogen im Dritten Reich, Kiepenheuer & Witsch (KiWi), Köln (2015). Trad. fr. L’extase totale, Le Troisième Reich, les Allemands et la drogue, La Découverte 2016. Norman Ohler est un journaliste d’investigation (der Stern, der Spiegel) qui a fouillé pendant cinq ans les archives allemandes et américaines, pour comprendre le rôle joué par les drogues dans l’Allemagne nazie. Hitler était végétarien, non fumeur, ne buvait ni alcool ni café, une abstinence selon lui indispensable à la supériorité de la race aryenne. Une loi anti-drogue très répressive est d’ailleurs programmée dès novembre 1933. Or l’enquête de Norman Ohler établit que la Blitzkrieg a été rendue possible par la consommation de Pervitin (« crystal-meth ») par les troupes de choc de l’armée allemande - 35 millions de doses pendant l’offensive contre la France, au printemps 1940. Le « parcours de santé » de « Patient A » (Adolf Hitler) est ensuite reconstitué grâce aux archives de son médecin personnel. Nous découvrons qu’Hitler a reçu des injections tous les jours, vitamines et glucose, puis stéroïdes à partir de 1941, puis Eukodal, un antidouleur dérivé de l’opium, à partir de 1944. Sa toxicomanie a sans doute maintenu Hitler jusqu’au bout dans l’illusion qu’il contrôlait la situation. Livre passionnant, excellent ouvrage de journaliste d’investigation, dont les découvertes devront être intégrées dans les travaux futurs des historiens.
Reiner STACH, Kafka, le temps des décisions. Paris, Le Cherche-Midi 960 p. (Kafka, Die Jahre der Entscheidungen, S. Fischer Verlag 2002, Fischer Taschenbuch 2004). Après une introduction sur la biographie d'écrivain, œuvre littéraire par essence, le livre se concentre sur les années 1910-1915, la période où Kafka, adulte, a commencé à écrire son journal. Principales sources : le journal de Kafka et la correspondance avec Felice Bauer, rencontrée en août 1912 et avec qui Kafka est fiancé pendant plus de deux ans, fiançailles presque uniquement épistolaires, jalonnées de deux ou trois rencontres seulement. C'est une plongée dans le quotidien difficile de Kafka, et une vision des contextes littéraires et historiques dans lesquels il évolue. Son ami Max Brod a un rôle déterminant, comme ami et admirateur de l'écriture de Kafka, qu'il détecte très tôt comme exceptionnelle. Il pousse sans relâche son ami à publier. Le rapport de Kafka avec la judéité et avec les sionistes est largement évoqué. Le métier de Kafka dans une compagnie d'assurance est décrit : loin d'être un employé subalterne, il avait de réelles responsabilités, liées à de grandes compétences dans son domaine : l'assurance des risques au travail - sa capacité à s'exprimer à l'oral ou à l'écrit était un de ses grands atouts professionnels. On découvre les « poussées d'écriture » qu'a connues Kafka, très liées à son état psychologique, et ses difficultés à écrire et à achever ses œuvres, invariablement considérées comme imparfaites. Le chapitre sur la guerre de 1914-1918 et son déclenchement est fabuleux. Éclairés des connaissances d'aujourd'hui, on voit la mise en place de l'engrenage militaro-politique qui aboutit à la déclaration d'une guerre dont certains savaient déjà qu'elle serait mondiale et donc dramatique. Malgré la difficulté à lire ce livre long, dense et très (trop ?) détaillé sur bien des aspects, il est passionnant de faire cette plongée dans la vie et l'univers de Kafka.
Anne WEBER, Annette, ein Heldinnenepos (2020), Matthes & Seitz Vlg. Deutscher Buchpreis 2020 (Prix du livre allemand). Vs frse : Annette, une épopée, Seuil 2020. Anne Weber raconte la vie aventureuse de la Française Anne Beaumanoir, une combattante. Adolescente, elle a pris part à la Résistance. Après la guerre, elle a exercé comme médecin, puis s’est engagée pour l’indépendance de l’Algérie en rejoignant le FLN. Condamnée pour terrorisme en France, elle a fui en Tunisie puis en Algérie, où elle a contribué à la mise en place du système national de santé. Après le coup d’état algérien de Boumediene en 1965, elle est tombée en disgrâce, et a gagné Genève, où elle a dirigé le service de neurophysiologie de l’hôpital universitaire jusqu’à sa retraite. Rentrée en France, elle a vécu jusqu’à 99 ans. Son dernier combat a été pour l’accueil des réfugiés syriens en 2019. Fondé sur des entretiens avec la protagoniste, le livre n’est pourtant pas une biographie ordinaire. L’auteure a mis la vie d’Annette en vers, parfois en rimes. Ecrivaine bilingue, et traductrice entre l’allemand et le français, Anne Weber écrit elle-même les deux versions de ses livres.
NOUVELLES
Antje AUBERT, Deutsch-französische Geschichte(n), Histoire(s) franco-allemande(s), Burg Verlag, 2021. "Recueil de cinq nouvelles. Dans chacune d’entre elles, la grande Histoire croise la petite, celle des grands-parents et de leurs secrets pendant la Seconde Guerre mondiale ou encore celle de deux amies sur fond d’après-guerre et de réconciliation. Chaque histoire travaille une faille, une blessure qu’il reste à panser : ce peut être la mémoire des conflits qui ont opposé nos ancêtres, ou simplement les écueils des débuts de toute relation interculturelle. Histoire(s) franco-allemande(s) nous rappelle la beauté, la richesse et l’importance primordiale des échanges franco-allemands." (site du Goethe-Institut France). Antje Aubert est venue à La Rochelle en octobre 2023 dans le cadre du projet MEMOBUS (projet de coopération franco-allemande pour l’Europe).
Ferdinand von SCHIRACH, Quelle chance ! et autres nouvelles / Glück, und andere Kurzgeschichten, Folio bilingue (2017), trad. fr. P. Malherbet. Suite de l'exploration de la collection Folio bilingue Deutsch/Français, cette fois-ci avec cinq nouvelles tirées des onze du recueil Verbrechen (Crimes, Gallimard, 2011), présenté au cercle l'année dernière. Chaque nouvelle suit un même format, commençant avec la description d'un crime et ses circonstances, très précise et factuelle, comme un procès-verbal rédigé par un policier. Un exemple de La tasse à thé de Tanata/Tanatas Teeschale : "Le lendemain, la femme de ménage de Wagner posa les commissions dans la cuisine et vit deux doigts au fond de l'évier. Elle appela la police." Puis le récit passe à la première personne, le narrateur - que l'on devine être l'avocat de la défense - nous raconte l'arrestation, le procès, la peine prononcée ....
Ernst ZILLEKENS, éd. et trad., Short Stories in German / Erzählungen auf Deutsch, New Penguin Parallel Text, 2003. Une collection de nouvelles allemandes écrites dans la période 1990-2002, en édition bilingue allemand-anglais. Sur les 8 auteurs, 4 sont nés entre les deux guerres: Siegfried LENZ (1926-2014), l'auteur de La leçon d'allemand, récemment un film ; Dieter WELLERSHOF (1925-2018), membre du groupe 47, auteur de Der Liebeswunsch/ Le désir d'amour ; Gabriele WOHMANN (1932-2015), qui a écrit plus de 600 oeuvres (romans, nouvelles, poésie, théâtre), peu ou pas traduite en français, ayant souvent comme thème l'ennui existentiel, la solitude, mais aussi un regard satirique sur la société allemande ; Jurek BECKER (1937-1997), auteur du roman et scénariste du film Jacob le menteur / Jakob der Lügner. Les 4 autres sont nés pendant ou après la deuxième guerre mondiale : Christoph HEIN (1944- ), qui a connu le succès avec L'ami étranger en 1982 ; Georg KLEIN (1953- ), a gagné son premier prix littéraire en 1998 avec Libidissi ; Birgit VANDERBEKE (1956-2021), représentée dans ce livre par un extrait d'une de ses œuvres les plus connues, Le dîner de moules / Das Muschelessen ; Judith HERMANN (1970- ), qui écrit romans et nouvelles, mais est aussi journaliste, son premier recueil de nouvelles, en 1998, Sommerhause, später/ Maison d'été, plus tard, traduit en plusieurs langues, connut un succès énorme. La plupart de ces nouvelles sont des observations de nos sociétés modernes, des relations dans un couple, deux seulement - celles de Becker et de Hein - sont plus politiques, et décrivent l'ambiance dans la RDA. Becker traite par l'absurde le pouvoir de la Stasi dans Der Verdächtige (Le suspect), Hein nous raconte à travers les yeux de son petit-fils les menaces pesant sur un homme qui a des principes, mais pas ceux du Parti.
BD, ROMANS GRAPHIQUES
Nora KRUG, HEIMAT : Loin de mon pays, Gallimard Jeunesse, 2018. (v.o. HEIMAT: Ein deutsches Familienalbum, Penguin Verlag, 2018) A l’issue d’une enquête en Allemagne sur ses familles (maternelle et paternelle) pendant le IIIème Reich, Nora Krug livre un roman graphique foisonnant et passionnant qui tente de répondre à la question de l’identité allemande et de la signification du mot Heimat. Souffrant d’un sentiment de honte et de culpabilité inculqué à l’école (elle est née en 1977 à Karlsruhe, Allemagne) qui ne la quitte pas, même après son installation à New York et son mariage avec un Américain juif, elle revient en Allemagne pour enquêter afin de trouver qui elle est en comprenant d’où elle vient. Ce roman graphique, fruit de ses recherches, est un patchwork de bandes-dessinées, de collages, de photos de famille, de photo-montages, de documents d’archives, de pages tirées de cahiers d’écoliers. A partir de ses propres souvenirs et en questionnant des membres de sa famille dont elle fait alors connaissance, en consultant des historiens locaux et des archives, elle reconstitue la vie sous le nazisme à Karlsruhe ainsi que les destin d’un oncle, soldat de 18 ans, mort à la guerre en 1944 en Italie, ou de son grand-père maternel qu’elle n’a jamais connu. Les questions se multiplient : comment a été éduqué son oncle à l’école du IIIème Reich? Dans quel état d’esprit est-il parti à la guerre ? Son grand-père était-il nazi? A-t-il vraiment caché son employeur juif dans une cabane au fond du jardin? Avec quel argent avait-il pu s’acheter une auto-école en 1933 ? Un très bel objet coloré contenant un récit émouvant, interrogeant sur l’origine, l’identité, la nationalité, et tentant de définir ce concept si allemand de Heimat.
Wolfgang HERRNDORF, tschick. Rowohlt Verlag, Hamburg 2010. (Trad. fr. Goodbye Berlin. Editions Thierry Magnier 2012.) Deux « losers » de 14 ans, Maik, un fils de bonne famille, et Tschick, un immigré russe, décident de prendre la route avec une vieille Lada volée. Leur objectif ? Aller jusqu’en Valachie ! Leur odyssée les mène à travers des paysages surréalistes à la rencontre de personnages aussi variés que surprenants. Ce road-movie contient des éléments propres au récit initiatique (des individus esseulés face à la société, une construction personnelle à travers la confrontation à la société) et propose une narration très dynamique, riche en rebondissements et situations cocasses. Grâce à une tonalité à la fois mordante et tendre, l’auteur parvient à donner à ce récit une dimension universelle – le tout, sans jamais tomber dans la complaisance. Un roman qui plaira à toutes celles et ceux qui sont, ou ont été, des adolescents !
R.M. RILKE (1875-1926), BALTHUS (1908-2001), Mitsou, Histoire d'un chat, préface de Marc de Launay (1949 -), Editions Payot & Rivages, Paris, 2017. Un tout petit livre qui rassemble l'artiste Balthus, le poète Rilke, et l'amour des chats .... Il s'agit d'une série de quarante dessins à l'encre de Chine, à la manière d'une bande dessinée, fait(e) par Balthus (Balthazar Klossowski) en 1920, à l'age de 11-12 ans. Le recueil, écrit pour un petit camarade, raconte en images l'histoire du chat Mitsou, trouvé par Balthus et adopté, mais mystérieusement disparu. Rilke, en ami de la famille du garçon (et amant de Baladine Klossowska, sa mère !) tient à écrire une préface, rédigée en français. Cette édition est agrémentée de Lettres à un jeune peintre, des lettres de Rilke adressées à Balthus de 1920 à 1926, et le tout préfacé : Perdre ce qu'on ignore, par le philosophe et traducteur Marc de Launay. Un livre touchant - Rilke tente de consoler son jeune ami de la perte de son chat : "vit-il (Mitsou) encore ? Il survit en vous ... ", et riche - Rilke et de Launay livrent leur points de vue sur la découverte, la perte, la possession ...., et surtout le charme et la maturité des dessins.
HUMOUR
Abbas KHIDER, Deutsch für alle. Das endgültige Lehrbuch. btb Vlg 2020 (Carl Hanser Vlg 2019). Le JE narrateur entremêle joyeusement ses démêlés avec la langue allemande et ceux avec les Allemands, depuis son immigration de l’Irak jeune adulte. Il propose généreusement de codifier un Neudeutsch pour alléger la surcharge cognitive des usagers de la langue, et en expose les fondements, avec un humour qui lui permet de se donner comme un législateur bénévole de la langue allemande pour l’humaniser et la rendre plus praticable. Entre deux anecdotes sur les complications de sa vie d’immigré en Allemagne (boulots précaires, démarches kafkaïennes, …), il s’attaque avec (im)pertinence aux domaines grammaticaux qui le hérissent le plus. Il sape les normes en proposant des simplifications, pour les domaines problématiques, en une grammaire alternative exposée avec tableaux, exemples en 2 versions : Deutsch / Neudeutsch, et résumés en gros caractères, comme dans les [autres] manuels. A chaque problème sa solution, pour constituer un Neudeutsch allégé, pour lequel il s’inspire tantôt des parlers d’étrangers, tantôt des dialectes de l’allemand, et même … de l’arabe auquel il emprunte deux nouvelles prépositions pour le Neudeutsch. Jeu de massacre hilarant, et très éclairant sur les écueils de la communication en allemand langue étrangère.
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SAISON 2 DU CERCLE LITTERAIRE, 2022-23
ROMANS - NOUVELLES - THEATRE - HUMOUR - POLARS, THRILLERS - TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES - POÉSIE - ESSAIS - BD, ROMANS GRAPHIQUES
ROMANS
Fatma AYDEMIR, Dschinns, Hanser Verlag 2022. Trad. frse par Olivier Mannoni, Fantômes, Mercure de de France 2024. Second roman d'une jeune écrivaine kurde-turque, finaliste Deutscher Buchpreis 2022. Il dresse le portrait de la famille Yilmaz, famille kurde immigrée de Turquie en Allemagne dans les années 70, sur 3 générations. Famille qui vit dans le silence, les non-dits et les faux semblants, perdue entre deux pays, discriminée partout, comme kurde en Turquie et comme « Scheisskanaken « (métèques de merde) en Allemagne, nulle part à sa place. En 6 chapitres construits comme un puzzle. on découvre un membre après l’autre de la famille. À la fin toutes les pièces peuvent être assemblées. Dans les cultures islamiques, les djinns sont craints comme menaces du mal, on évite de les nommer ou d’en parler. Le djinn, c’est le vague, l’incertitude, l’obscur qui fait peur parce qu’on doit le remplir de ses propres fantasmes. Les djinns de la famille Yilmaz, c’est la vérité que tout le monde a toujours essayé de cacher. Roman qui pose un regard très critique sur la situation des familles immigrées en Allemagne, notamment le racisme ambiant avec lequel elles sont confrontées au quotidien, quand les foyers d’immigrés brûlent. Roman fort, très bien écrit, d'une écrivaine prometteuse. https://www.mercuredefrance.fr/fantomes/9782715261808
Hugo BETTAUER, La ville sans Juifs. Un roman d’après-demain (vs. orig. Die Stadt ohne Juden, ein Roman von übermorgen, 1922). Belfond 2017, 186 p. Dans cette uchronie prémonitoire, Hugo Bettauer imagine que l’Autriche, en pleine crise économique et sociale, décide d’expulser tous ses habitants juifs. Non pas qu’ils soient responsables des difficultés du pays, mais ils sont trop intelligents et dominent les Autrichiens. Se pose alors la question : qu’est ce qu’un juif ? Dans la seconde partie du roman, l’auteur donne la parole à toutes sortes de personnes, chacune représentant une branche de la société. On peut y découvrir des conséquences, parfois drôles, de la disparition d’une partie, au final essentielle, de la population. Le pays s’enfonce dans les difficultés et sombre dans un grand marasme, jusqu’à regretter ses habitants juifs. Mais ceux-ci, bien organisés dans d’autres lieux du monde, auront-ils envie de revenir ? Hugo Bettauer, journaliste et écrivain autrichien né en 1872, fut assassiné en 1925 par un partisan nazi suite à la parution d’une gazette semi-érotique qui valut à son éditeur d'être qualifié de « cochon de juif ».
Kim de l’HORIZON, Blutbuch. DuMont Buchverlag, Köln (2022). (Prix littéraire de la fondation Jürgen Ponto 2022. Prix du livre allemand 2022. Prix suisse du livre 2022). Trad. frse 2023, Hêtre rouge, par Rose Labourie, Juillard, 432 p. Nommé pour le prix Médicis 2023. Ce roman incarne, dans un mouvement poétique et onirique, la recherche d'identité à travers les générations de la figure narrative, jeune non-binaire, qui a grandi dans les montagnes bernoises et vit à Zurich. Sa voix s’adresse à sa grand-mère qui perd la mémoire. Rompant avec la culture familiale des non-dits, iel évoque la genèse de sa non-binarité et de son identité plurielle, fouillant son histoire familiale avec ses secrets et traumatismes dans une société montagnarde apparemment figée. Tout au long de son récit, la voix narratrice, mêlant allemand standard, suisse allemand, anglais, traces de français, invente le langage le plus approprié pour rebâtir son histoire, sa filiation imaginaire, son identité de genre fluide, recourant notamment à des néologismes tels que jemensch pour jemand ou niemensch pour niemand. Roman foisonnant, imaginatif, sensible, exigeant, qui relie les pouvoirs occultes des femmes dans les sociétés rurales d'hier et le plus brûlant aujourd'hui. Voir aussi :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Kim_de_l%27Horizon
Alfred DÖBLIN (1878-1957), Berlin Alexanderplatz, Gallimard 2009, nouv. trad. Olivier Le Lay (Berlin Alexanderplatz, die Geschichte vom Franz Biberkopf, Fischer Vlg Berlin 1929, prem. trad. frse Gallimard 1933). L'errance de Franz Biberkopf, qui sort de 4 ans de prison, dans le Berlin de la fin des années 20, une ville en pleine transformation. Les tentatives marxistes et la révolution de Spartacus ne sont pas loin, les chemises brunes et les brassards noirs commencent à circuler. Une ville qui grouille de mutilés de guerre et de chômeurs du fait de la débâcle économique allemande. Franz fait tous les petits boulots pour croûter, il déambule dans les bas fonds de Berlin, côtoie la pègre et le peuple des filles des rues, s'associe à une bande de malfaiteurs pour des coups foireux. On baigne dans un univers expressionniste (cinéma et peinture). Une écriture hâchée à la mitraillette pour décrire la folie et l'inhumanité des grandes villes. Et comme épilogue, un long dialogue avec la mort. Un livre dur et noir, y a-t-il une lueur d'espoir pour Franz Biberkopf ?
Catalin Dorian FLORESCU, Le turbulent destin de Jacob Obertin. Paris, Seuil, 2013. (vs orig. Jacob beschliesst zu lieben, 2011) Jacob Obertin est un perdant pathétique, tous les épisodes de sa turbulente existence en apportent la confirmation. Né dans le Banat (Roumanie actuelle) en 1926 dans une charrette de fumier, il est de constitution chétive, ce qui amène son père à le déshériter au bénéfice d’un bâtard plus apte à reprendre la propriété. Au moment de la guerre et de l’invasion allemande, il tente de tirer son épingle du jeu, assimilé qu’il est aux Souabes germanophones de la région. A l’arrivée des Russes, il est déporté, en principe pour la Sibérie, mais s’échappe du train et atterrit chez un pope roumain pour qui il trie des os humains. Il réussit à revenir dans son village et participe au projet des descendants de Lorrains de prendre le chemin de la Lorraine. Mais à nouveau trahi par son père, il est déporté dans l’Est de la Roumanie… Roman d’aventures et roman d’éducation à la fois, à travers cette Europe centrale secouée par les guerres mondiales.
Christoph HEIN, Prise de territoire, Éditions Métailié 2006.Trad. fr.Nicole Bary. (Landnahme, Suhrkamp, 2004). “Bernhard Haber, enfant d'une famille de réfugiés chassée de sa terre natale, ne parvient pas à se sentir chez lui dans la ville où ses parents ont dû se réinstaller. Il a dix ans lorsqu'en 1950 sa famille quitte Breslau (Wroclaw) en Silésie pour une petite ville de Saxe dont les habitants voient d'un très mauvais œil l'afflux de réfugiés et de sinistrés. Certes, on a besoin d'artisans mais l'atelier de son père, le menuisier, brûle. Lui non plus n'a pas la vie facile à l'école, les maîtres veulent le "rééduquer", il est la risée de ses camarades et on abat même son chien. Il jure de se venger. Christoph Hein laisse à cinq personnages, à cinq voix, le soin de raconter 50 années de la vie de Bernhard Haber, des années 50 jusqu'à la fin du XXème siècle. Chacun des narrateurs l'a connu à un moment ou à un autre de sa vie, chacun d'entre eux porte sur lui un regard différent : de l'écolier au militant communiste, puis au passeur de clandestins vers Berlin Ouest jusqu'à l'homme d’affaires prospère” (extrait de la 4e de couverture). Très bon roman qui décrit la situation des réfugiés de la Silésie considérés comme des étrangers en RDA.
Christoph HEIN, Der Tangospieler. Cet auteur est venu à la Rochelle en 1996 à l'invitation de G.Brousseau qui étudiait ce roman avec ses élèves d'Abibac. Le roman raconte l'histoire d'un universitaire, également pianiste, engagé comme remplaçant dans un orchestre d'étudiants qui chantent des chansons critiquant le gouvernement de la RDA (DDR). Ils sont mis en prison, et notre héros, Dallow, en sort après 21 mois d'incarcération. Le livre détaille son après, comment il tente de se reconstruire dans un pays policier totalitaire, sa rencontre avec deux hommes suspects qui veulent l'aider (helfen: je déteste ce verbe) à retrouver du travail. Il essaie de devenir chauffeur de poids lourds, puis garçon de café, sans succès. Heureusement, il peut finalement retourner à son institut. Une critique acide de l'Allemagne de l'Est des années 80.
Yael INOKAI, Ein simpler Eingriff , Hanser Verlag, Berlin. (roman nommé parmi les 20 de la liste large, Deutscher Buchpreis 2022, non traduit. (Une simplissime intervention). Un roman au style chirurgical et minimaliste, qui inscrit dans nos cerveaux la vie de Meret, jeune infirmière, qui assiste, enthousiaste et soumise, le médecin-chef d´une clinique, qui pratique des lobotomies, censées guérir les accès de rage ou d´hystérie de ses patientes. Vêtue de son uniforme de travail, elle prend en charge les doutes et les angoisses de ces femmes souffrantes, auxquelles elle consacre sa vie de recluse. Ses seules sorties sont consacrées à sa famille, où elle se soumet, vêtue de sa robe filiale, à l´autorité d´un père tyrannique. C´est Sarah, qui vient partager sa chambre, qui lui instille les premiers doutes sur les interventions psychiatriques auxquelles elle collabore. C´est avec elle aussi qu´elle découvre un amour lesbien libérateur, intense, délirant, entorse à la « norme »…
Elfriede JELINEK, Michael, ein Jugendbuch für die Infantilgesellschaft. rororo 1977 (Rowolt 1972). [‘Michael, un livre de jeunesse pour la société infantile’], non traduit en fr. Une farce au vitriol sur l’exploitation des jeunes apprentis par la grosse entreprise, à travers des histoires qui s’imbriquent : a) des jeunes de familles pauvres, déjà envahis par les valeurs de la télé et de la société de consommation, traités avec violence par l’entreprise qui les (dé)forme ; b) l’héritière de la grosse entreprise, qui s’est amourachée de Michael, un garçon modeste sous l’emprise de sa mère, une intrigante. Elle lui fait épouser l’héritière et Michael est promu ‘Juniorchef’ ; c) les feuilletons télé gobés par ces jeunes, où se côtoient Flipper le dauphin des mers du sud, et des histoires de dynasties montrant que les riches ne sont pas heureux (non plus). Dans chaque chapitre, une apostrophe didactique aux jeunes apprentis pour leur faire rentrer dans la tête le comportement de travailleur soumis qu’on leur inculque précède 3 sous-chapitres narratifs. La langue est celle des années 70 en rébellion contre la langue allemande statufiée de l’avant-guerre, où les noms n’ont plus de majuscules et seul subsiste comme ponctuation le point. Années 70 : il fallait tout déstructurer ! Narration de style oral désordonné, à multiples voix, où la narratrice apostrophe aussi le lecteur. Un vrai brûlot, très inspiré par le théâtre critique.
Abbas KHIDER, Der Erinnerungsfälscher, Hanser Verlag 2022. Après sa propre fuite de Bagdad, ce roman de Abbas Khider est l´histoire de la fuite de l´Irakien Said Al-Wahid, son double, persécuté et emprisonné comme opposant au régime. Il y retourne à contrecœur, pour revoir sa mère mourante, et finalement, retourner à Berlin auprès de son fils Ilias et de son épouse Monica. En plus de nombreuses expériences humiliantes et violentes, il doit subir les « tortures bureaucratiques » liées à sa demande de naturalisation. Maîtrisant parfaitement l´allemand écrit, ayant déjà reçu de nombreux prix, il désire être reconnu comme écrivain à part entière, dans cette langue, devenue son refuge. Autobiographie et récit fictionnel sont indissociablement mêlés, et, loin de prétendre à l´exactitude de ses souvenirs, l´auteur cherche surtout à nous faire partager leur potentiel d´empathie et leur valeur de vérité humaine.
Christiane LIND, L’Héritage du bout du monde, City Edition 2021. (Im Schatten der goldenen Akazie 2016). Saga familiale d’une spécialiste des sagas, qui renvoie à l’Australie de la fin du 19ème siècle, autour du destin de deux soeurs de tempéraments opposés très attachées l’une à l’autre, vivant sur une plantation de canne à sucre avec leur père. Un père devenu, depuis le décès tragique de sa femme, d’humeur odieuse, surtout envers l’ainée de ses filles qu’il rend coupable de la mort de son épouse mordue par un serpent venimeux. En Allemagne au 21ème siècle, deux soeurs inséparables vivent ensemble après la mort accidentelle de leurs parents. Suite à une trahison amoureuse de la cadette envers sa soeur, l’ainée part en Australie où vit une parente éloignée. Les deux, la tante et la petite-nièce, engagent alors des recherches pour élucider leurs racines et les secrets familiaux, la rudesse de la vie des immigrés allemands au siècle précédent, mais aussi sur les aborigènes, leur sagesse, dans la nature magnifique du Queensland. Le passé et le présent sont narrés parallèlement et s’entrecroisent. C’est une histoire de haine, d’amour, de désespoir, qui se dénoue petit à petit pour redonner envie d’écrire une nouvelle histoire de la famille, la troisième.
Sharon Dodua OTOO, Adas Raum. S. Fischer, Frankfurt-am-Main 2021, 320 p. (trad. angl. 2023 Adas Realm). Un bel exemple de littérature-monde. Comment une écrivaine et féministe londonienne d’origine ghanéenne s’installe à Berlin, et décide d’écrire en allemand son 3me roman (après avoir reçu le Prix Ingeborg-Bachmann pour sa première œuvre en alld, une nouvelle ironique et magique). Son personnage est une jeune femme trimballée d’époque en époque par la main de Dieu : une grosse voix en dialecte berlinois, entourée de multiples narrateurs : des êtres incarnés en objets dotés de conscience envoyés par ce dieu fantaisiste pour participer à un moment décisif dans la vie d’une personne (balai, nuage ou petite brise, marteau de porte, lunettes, …). Les pas-encore-nés et les déjà-morts entourent les vivants, le monde bruisse de leurs voix en désordre. Ces êtres assistent toutes les Ada dans ses réincarnations, de la conquête de l’Afrique au 15me siècle, au 19e siècle dans le Londres de Dickens, à un bordel de KZ en 1945, et pour finir à une jeune Ghanéenne envoyée en Allemagne en 2019 pour “aider sa famille” restée au pays, qui avec la demi-sœur berlinoise qu’elle se découvre, cherche un appartement pour accueillir sa vie de future mère. Chaque époque est reliée aux autres par le truchement d’un objet qui passe d’une vie d’Ada à l’autre de main en main : un bracelet de fécondité africain en perles d’or blanc. La structure du roman parcourt alternativement trois mondes sociaux : Die Zahnlosen, die Betrogenen, die Glücklichsten (les sans-dents (vieilles villageoises = die Mütter, déportées au KZ, vieilles Africaines émigrées), les abusé-e-s, les bienheureux = les riches et puissants). A chaque scène, le narrateur-avatar tente de savoir ce qu’il vient faire là, comment contribuer à l’histoire d’Ada, Ada s’interroge sur les secrets qui entourent sa vie et qu’elle ne parvient pas à percer, taiseuse entourée de taiseux; des réminiscences fugaces à des images, des langues, des noms, relient les épisodes : les vies d’Ada. Dans l’épilogue, la jeune accouchée déclare qu’enfin elle sait qui elle est… mais tout reste en suspens. Magnifique et prenant.
Erich Maria REMARQUE (1898-1970), Im Westen nichts Neues, Kiepenheuer & Witsch, 17e éd. 2002. Trad. frse A l'ouest rien de nouveau, par A. Hella et O. Bournac, Le Livre de Poche 197, ca. 1961. Paru en 1929, ce roman est un grand classique de la littérature allemande, un plaidoyer contre la guerre, pour la paix. Pour cette raison le livre fut interdit par les nazis et brûlé dans les autodafés en Allemagne en 1933. On suit le quotidien d'un groupe de jeunes soldats allemands sur le front ouest pendant la Première Guerre mondiale, raconté par l'un d'eux, Paul. Le ton est factuel, par moments presque humoristique, comme dans les premières pages où le groupe est très content de recevoir des doubles rations de nourriture, et même du tabac. Mais on apprend la raison de cette apparente générosité - sur les 150 hommes de la 2ème compagnie arrivés 15 jours auparavant, il ne reste que 80 survivants... La brutalité de la guerre des tranchées, l'absurdité des décisions prises loin du front, la camaraderie entre les soldats, la pénurie de tout en ces dernières années de la guerre, l'aliénation psychologique de toute vie en dehors du conflit, ce livre bouleverse le lecteur, d'autant plus que l'Europe connait à nouveau la guerre sur son sol. Plusieurs fois adapté à l'écran aux Etats-Unis, en 2022 pour la première fois c'est un cinéaste allemand, Edward Berger (1970-), qui le réalise.
Joseph ROTH, La crypte des capucins. Écrit à la première personne, ce roman met en scène Franz Ferdinand Trotta, cousin des Trotta de La Marche de Radetzky, et passe pour être le livre-testament de son auteur. Trotta, jeune Viennois insouciant d'avant la guerre de 1914, doit partir en guerre et en revient pour découvrir l'écroulement du monde qu'il avait connu. C'est la suite de La marche de Radetsky, grand roman et dernière oeuvre de Joseph Roth parue en 1938 peu avant sa mort. Trad. Blanche Gidon, préface Dominique Fernandez, Points-Seuil, n°196, 1996. Adapté au cinéma en 1971 par Johannes Schaaf sous le titre “Trotta”.
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Joseph ROTH, La légende du saint buveur. Longue nouvelle relatant la rencontre d'un clochard alcoolique qui vit sous les ponts de Paris avec un Monsieur qui lui offre 200 francs. Il devra les rendre à la sainte Thérèse dans l'église des Batignolles : restituer cet argent en tant que dette d'honneur. Désireux de respecter sa promesse, l'homme est cependant soumis à la tentation de dilapider cet argent pour s'acheter à boire et renoncer ainsi à sa propre rédemption. J. Roth a écrit cette dernière œuvre avant de mourir à Paris en 1939, désespéré et noyant son désespoir dans l’alcool.
Eugen RUGE, Le Metropol. Trad. Jacqueline Chambon, éditions Chambon / Actes Sud, 2021, 352 p. (vs orig. Metropol, Rowohlt 2019). Roman à la fois familial et historique sur la période des grandes purges staliniennes en 1936-37, par l’auteur de Quand la lumière décline. L’auteur s’attache à trois personnes ayant réellement vécu dont l’une est sa grand-mère, Charlotte, membre du Komintern qui s’est exilée à Moscou avec son compagnon pour continuer ses activités et échapper aux nazis. Le deuxième personnage est une amie, Lotte, et le troisième le juge Ulrich dont la fonction est de signer les condamnations à mort frappant les communistes indésirables. L’hôtel Metropol constitue une petite colonie qui rassemble des communistes étrangers dont les activités au service de la propagande sont suspendues. Tous attendent qu’on décide sur leur sort, effrayés à l’annonce de la condamnation de l’un d’entre eux, soupçonnant peu à peu leurs congénères, rassemblant leurs souvenirs de militants à la recherche d’une erreur éventuelle, toujours convaincus que l’action du camarade Staline est la meilleure possible. La plupart disparaissent. Charlotte et Wilhelm obtiennent finalement un visa pour l’Ouest.
Peter STAMM, Agnes, btb-Verlag, Sonderausgabe 2001, © 1998. Éd. fr. Agnès, trad. Nicole Roethel, Christian Bourgois éd. 1998, coll. 'Titres' 81, ISBN 978 2 267 01986 5. Là où il n´y avait que des solitudes, doit advenir leur histoire. Dès la première ligne du roman, au style factuel, nous apprenons que c´est un échec. C´est la fin de leur histoire d´amour, écrite par le narrateur sous la supervision d´Agnès, qui a poussé celle-ci à disparaître. La vérité des protagonistes, très proche, sans doute, d´une aventure vécue à Chicago, se construit entre ce réel et la fiction d´une histoire dans l´histoire, qui démontre, sans les expliquer, les difficultés à construire une relation vivable et durable, tout en faisant le point sur l´influence que toute lecture ou écriture peut avoir sur nos cerveaux, au point de modifier notre perception du monde, nos sentiments, nos idées, et même nos actes.
Peter STAMM, L’un l’autre (titre orig. Weit über das Land, 2016), trad. fr. 2017, eds. Christian Bourgois, collection 'Titres'. Un couple discute sur la terrasse, tranquillement ; un enfant pleure, sa mère rentre le consoler, son père se lève et s’en va, sans rien dire. Nous suivons alors les trajets des deux parties de ce couple : l’un marche constamment vers le sud, l’autre marche sur place, tentant de sauver les apparences. Parfois ils se croisent, l’ignorant, jamais ils ne se quittent vraiment. Un roman gourmand, suspendu dans les décors magnifique des Alpes suisses.
NOUVELLES
Heinrich BÖLL Mein trauriges Gesicht / Mon visage triste, nouvelle qui montre l'absurdité des régimes totalitaires : un homme est arrêté par la police à cause de son visage triste, alors qu'une loi vient d'être promulguée, qui fait obligation d'être heureux ... Dans : Nouvelles allemandes contemporaines/Deutsche heutige Kurzerzählungen, Pocket Langues pour tous/Univers Poche, 1989, ré-éd. 2013. Choix, introd. et notes par Michel Lemercier. Le titre de ce recueil est un peu trompeur aujourd’hui, car les nouvelles datent toutes du 20ème siècle. Sont présentés des textes de 7 auteurs germanophones, certains connus comme Siegfried Lenz, Max Frisch, Heinrich Böll, Wolfgang Borchert, Marie-Louise Kaschnitz, d'autres moins, comme Herbert Malecha, Aurelia Bundschuh. Une variété de styles et de thèmes, dont une histoire de fantômes, une rencontre entre un homme et une femme, un récit terrible d'un petit garçon survivant dans un village bombardé ...
Wolfgang BORCHERT, Das Gesamtwerk, (Oeuvres complètes), Rowohlt [1949], 352 p., Hamburg, rééd. 1957 avec postface biographique. WB a été traduit dans de nombreuses langues, dont le japonais. En français, il est resté confidentiel. Quelques nouvelles dans des anthologies des années 60 (avant la numérisation!) + sa pièce de théâtre Draußen vor der Tür / Dehors devant la porte, plusieurs fois mise en scène, c'est tout. Cette œuvre fulgurante est le fait d'un très jeune homme, apprenti libraire, comédien, auteur de poèmes dès 17 ans, envoyé faire la guerre en 1939 à 18 ans et plusieurs fois emprisonné pour rébellion, rentré du front russe démoli et malade, qui a rédigé l'essentiel de son œuvre dans l'urgence en 2 ans, de 1945 à sa mort à 27 ans. Dans ses nouvelles et sa pièce, WB donne une vision humble et concrète, à ras du sol et des êtres, du drame de l'Allemagne confisquée par le nazisme, qui l'a amputé de sa jeunesse. Dans une langue à la fois quotidienne et poétique, avec une rare économie de moyens, pleine d'émotion et d'indignation, portée par son rythme et ses répétitions en vagues. Jusqu'à son dernier texte, un message d'urgence contre la mécanique de la guerre : Sagt NEIN !
Bertolt BRECHT (1898-1956), Nouvelles/Kurzgeschichten, Pocket Bilingue Langues pour Tous, trad. fr. Danielle Laquay-Meudal, 1989, nlle édition 2015. Cinq nouvelles, écrites entre 1919 et 1940, Ein gemeiner Kerl/Un sale type (1919) ; Der Lebenslauf des Boxers Samson-Körner/Curriculum du boxeur Samson-Körner (1925) ; Nordseekrabben/Les Crevettes de la mer du Nord (1927) ; Die unwürdige Greisin/La Vieille Dame indigne (1939) ; Der Augsberger Kreidekreis/Le Cercle de craie d'Augsbourg (1940). La première nouvelle (Ein gemeiner Kerl) raconte l'histoire d'un homme qui poursuit une femme croisée dans la rue, s'immisce chez elle et s'y installe, pour profiter non seulement de son lit mais aussi se faire entretenir. Brecht a écrit cette histoire quand il n'avait que 21 ans, pour 'choquer la bourgeoisie' pudibonde de l'époque. Plus de 100 ans plus tard, le lecteur et peut-être surtout la lectrice est toujours choqué(e), mais non pas par l'immoralité. Ce qui peut choquer de nos jours, surtout depuis les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, c'est la soumission totale (enfin presque ! car le vent tourne ....) de cette femme à la volonté de cet homme. On connait Brecht surtout pour ses pièces de théâtre, la traductrice nous invite à découvrir dans ces textes presque toute son œuvre - chacune des nouvelles peut se lire comme l’esquisse d'une de ses pièces célèbres. La série 'Pocket Bilingue Langues pour Tous' nous propose, en plus de la présentation page de gauche, texte allemand, page de droite, traduction française, des notes explicatives en bas de page, souvent très utiles, de vocabulaire, grammaire et rappels historiques.
Friedrich DÜRRENMATT, La panne. Une histoire encore possible. (Die Panne. Eine noch mögliche Geschichte). Trad. fr. Armel Guerne. Livre de poche. L’auteur suisse F D (1921-1990) est célèbre mondialement pour ses pièces de théâtre La visite de la vieille dame et Les Physiciens. La nouvelle La Panne a été adaptée par l’auteur lui-même pour le théâtre. Lieu : la demeure d’un juge à la retraite dans un village au cœur de la Suisse. Temps : une soirée et une nuit. Personnages : trois juristes à la retraite (un juge, un procureur et un avocat), un bourreau, et Alfredo Traps, voyageur de commerce tombé en panne. Sans oublier la cuisinière qui fournit force mets succulents et boissons alcoolisées. Action : la mise en accusation par les vieux magistrats de Traps, soupçonné d’avoir provoqué la mort de son rival en affaires dont il avait séduit l’épouse. L’accusé prend d’abord le grief à la légère puis, l’alcool aidant, il en revendique la responsabilité, finalement fier d’être l’auteur d’un acte exceptionnel. Alors que les vieillards totalement ivres viennent lui apporter le verdict : la peine de mort, ils le trouvent pendu dans sa chambre.
German Short Stories 1 / Deutsche Kurzgeschichten 1, Penguin Parallel Text, 1964, choix, introd. et notes R. Newnham. Recueil de 8 nouvelles de la Nachkriegsgeneration, toutes parues en RFA, en version bilingue all.-angl. en vis-à-vis. Heinrich BÖLL et Hans BENDER racontent la solitude d'individus de retour après la guerre dans des villes méconnaissables; Gerd GAISER et Gertrud FUSSENEGGER dépeignent des personnes aux prises avec leurs obsessions hétéroclites: vitesse excessive en voiture, ou 'collectionnite' de nains de jardin ; Wolfdietrich SCHNURRE et Reinhard LETTAU sont satiristes ; Wolfgang BORCHERT et Ilse AICHINGER expérimentent la forme poétique et le langage dans les explorations de la souffrance de l'individu.
Reinhard LETTAU, Beim vorbeifahren der Potemkinschen Kutsche / When Potemkin's coach went by (en fr., Au passage du carosse Potemkine). Au 18me siècle, quelque part en Nouvelle-Russie (aujourd'hui Ukraine...), une équipe est chargée par le prince Potemkine de construire un faux village de façades peintes, pour impressionner la Tsarine Catherine II lors de sa visite. Mais petit à petit le faux village devient réel, les fenêtres peintes sont remplacées par des vraies, de la vraie fumée sort des cheminées fraîchement peintes... Le chef d'équipe évoque son cauchemar: Potemkine va voir un vrai village et lui demander où se trouve donc le faux, et ce qu'il a fait de l'argent et des matériaux. Un ouvrier vient annoncer au chef qu'il a été désigné maire du village... Dans German Short Stories 1 / Deutsche Kurzgeschichten 1, Penguin Parallel Text, 1964, choix, introd. et notes R. Newnham. Recueil de 8 histoires courtes de la Nachkriegsgeneration, toutes parues en RFA, en version bilingue all.-angl. en vis-à-vis.
Robert MENASSE, Ich kann jeder sagen: Erzählungen vom Ende der Nachkriegsordnung. Suhrkamp 2009, 14 nouvelles. (Trad. fr. Chacun peut dire Je. Nouvelles de la fin de l’après-guerre. eds Jacqueline Chambon 2011). Le romancier viennois Robert Menasse livre ici un ensemble de brefs récits, tous en JE au masculin, où chaque narrateur est amené à faire ressurgir en confidence ce qu’il faisait lors d’un événement historique (l’assassinat de JF Kennedy, les attentats révolutionnaires des années 70, la chute du Mur…). Le dérisoire du quotidien, les éternels retours entre les générations, et les incertitudes de la mémoire leur font contrepoint avec humour et cocasserie. Le lecteur est mené par le bout du nez et constamment surpris, à travers un bouquet varié de solutions narratives virtuoses, retours en arrière et tressage des voix notamment. Histoires à déguster une par une, et à relire pour mieux comprendre par où l’auteur nous a fait passer…
Eduard MÖRIKE, Le voyage de Mozart à Prague, trad. fr. Raymond Dhaleine, Editions Sillage (2020). (Mozart auf der Reise nach Prag, 1855). Mozart se rend à Prague avec son épouse Constance, en 1787, pour y présenter la première de son opéra Don Juan. En chemin dans leur carrosse orange, ils font une halte dans le château d’aristocrates qui vont marier l’une de leurs filles. On perçoit très vite le caractère à la fois rêveur et joyeux de Mozart, qui trouve un accueil admiratif auprès de cette famille, à laquelle il conte de nombreuses aventures ainsi que la genèse de l’opéra Don Juan. Le texte, léger, musical, s’achève néanmoins par une note sombre qui évoque la brièveté de la vie de ce génie.
https://editions-sillage.fr/?p=3128
https://de.wikipedia.org/wiki/Mozart_auf_der_Reise_nach_Prag
Ferdinand von SCHIRACH, Sanction. Trad. Rose Labourie, Gallimard 2020 (Strafe, 2018). 12 nouvelles acides et cyniques, écrites dans un style journalistique précis et assez froid ; chacune d’elles serait un roman policier à part entière, saisissant quelques incohérences de la justice. L’auteur ne prend jamais parti, et la conclusion s’avère souvent surprenante. Une gourmandise...
Ferdinand von SCHIRACH, Verbrechen, BTB 2020, 206 p. (Piper 2009). [en fr. Crimes, Gallimard 2011, trad. Pierre Malherbet, folio 2012] Récit de 11 affaires criminelles réelles, vues et vécues par l´avocat de la défense, F. von Schirach. Chaque mot frappe juste dans ces reconstitutions auxquelles nous participons en spectateurs sceptiques. Couper sa femme en morceaux, manger littéralement l´être aimé, supprimer une souffrance en noyant un proche, commettre un crime, sans être un criminel ? F. von Schirach pose avec brutalité le problème de la culpabilité, en nous plongeant dans le secret des êtres qui peuvent paraître les plus cruels, alors que ce sont les plus sensibles, consternés par nos incompréhensions et nos indifférences. Il nous fait accepter les inacceptables mansuétudes des tribunaux. Pouvons-nous être absolument sûrs de ne jamais commettre de tels actes, face à l´histoire, face à nos troublantes inconséquences ?
Bernhard SCHLINK, Der Andere/L'autre, Folio Bilingue, Gallimard 2006. (Diogenes, Zurich, 2000). Trad. fr. B. Lortholary et R. Simon, Gallimard 2001. Nouvelle extraite du recueil Liebesfluchten/Amours en Fuite. Un homme retraité, Bengt, vient de perdre sa femme Lisa d'un cancer. Un jour arrive une lettre pour elle, d'un certain Rolf, qui de toute évidence a été son amant. D'abord seulement étonné, Bengt se sent trompé et volé, il s'interroge sur la réalité de leur couple, qu'il a cru d'une intimité exclusive. Dans le secrétaire de sa femme, il trouve d'autres lettres de Rolf, des photos des deux amants souriants ... il décide d'aller à la recherche de "l'autre". Mais l'autre n'est pas du tout comme dans son imagination ... Ecrit d'un style sobre et précis, cette histoire, a priori sur le mensonge et la trahison, se révèle émouvante dans son portrait de la découverte par Bengt des autres, mais aussi de lui-même. Adapté à l'écran par Richard Eyre en 2008, avec le titre 'The Other Man', avec Liam Neeson et Antonio Banderas.
Arthur SCHNITZLER, Mademoiselle Else (vs. orig. Fräulein Else,1924) Stock, 'La Cosmopolite' 1980, trad. Dominique Auclères,117 p. L’auteur nous fait entendre le monologue intérieur de la jeune Else, 19 ans, fille de famille bourgeoise viennoise, en villégiature solitaire dans une station des Alpes. Schnitzler, dans un style léger, ironique et plaisantin, nous raconte une histoire cruelle et dévastatrice pour l’héroïne. Ce texte brillant et original nous entraine dans le tourbillon des pensées souvent contradictoires de la jeune fille. En fait il s’agit ici de la dénonciation du crime qu’est l’utilisation du corps d’une femme par sa famille et la société qui le considèrent comme un "bien« : la dénonciation d’une prostitution forcée. Ici les parents "vendent" en effet leur fille, ce qui aboutit à une scène stupéfiante, et à une conséquence catastrophique pour Else. Ce texte se prête parfaitement à une interprétation théâtrale par une actrice seule en scène. Il a été et est toujours souvent à l’affiche.
SCHNITZLER Arthur, "Le sous-lieutenant Gustel". ("Leutnant Gustl"). Dans : Romans et nouvelles, tome I (1885-1908), La Pochothèque 1994. [+ Romans et nouvelles II (1909-1931)]. https://www.livredepoche.com/livre/romans-et-nouvelles-tome-1-9782253063148
Comme son père, Schnitzler devient médecin ORL et s’intéresse de près à la psychanalyse. Le récit Leutnant Gustl correspond de par son volume et son contenu à la définition du genre Novelle et inaugure une technique narrative spécifique, le monologue intérieur. Comme dans la plupart des œuvres, on y trouve une critique sociale particulièrement vigoureuse, la cible est ici l’armée autrichienne et ses préjugés, sa conception de l’honneur, son mépris pour les civils. Gustl, qui a rendez-vous le lendemain pour un duel, assiste à un concert où il s’ennuie à mourir ; à la sortie, au vestiaire, il bouscule les gens et est remis vertement à sa place par un boulanger, qui le traite de « Dummer Bub » et pose la main sur son épée, ce qui pour un militaire est une insulte. Même si la scène s’est déroulée discrètement, Gustl est humilié et ne voit pas d’autre porte de sortie que la fuite en Amérique ou le suicide. Il passe la nuit sur un banc, et avant de passer à l’acte, il décide d’entrer dans son café habituel, où le patron lui apprend la mort du boulanger, ce qui lui redonne la joie de vivre.
Anna SEGHERS (1900-1983), L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus. Eds Ombres, « Petite bibliothèque Ombres », trad. Joël Lefebvre 1993, 55 p. (Der Ausflug der toten Mädchen, New York 1946). Longue nouvelle écrite au Mexique en 1943, pays auprès duquel son autrice, d'origine juive, avait trouvé refuge. Ce texte éclaire le destin funeste de 15 jeunes filles allemandes, compagnes d’Anna Seghers au lycée, et celui de quelques-uns de leurs amis ou professeurs, qui toutes et tous disparaitront durant la 2nde guerre mondiale : déportations, suicides, bombardements, tortures… Le récit est doux, vécu comme un rêve qui oscille entre la période de l’excursion, joyeuse, animée, pleine d’amitiés, et le devenir imprévisible de chacune de ces jeunes filles dans la période 1933-1945 ; il est en même temps terrible, car souvent rien ou presque, de leur adolescence, ne permettait de prévoir les haines et les malheurs liés au régime nazi qu'elles allaient endurer.
Franz WERFEL (1890-1945), Une écriture bleu pâle, Editions Stock, 'La cosmopolite', 150 p. Traduction Robert Dumont. (Eine blassblaue Frauenschrift, 1941). Franz Werfel, d’origine pragoise, ami de Kafka, auteur de nombreux romans, nouvelles, poèmes, est à mettre au rang des grands écrivains viennois du début du 20ème siècle au même titre que Stefan Zweig, Musil, Broch... Il s’attache à décrire, dans cette longue nouvelle ou bref roman (Novelle à l’allemande) une journée de 1936 dans la vie de Leonidas, haut fonctionnaire d’origine modeste qui a épousé une femme de la haute aristocratie. Cette journée est bouleversée dès le petit déjeuner par l’arrivée d’une lettre d’une ancienne maîtresse, Vera Wormser, juive de Francfort, qui lui demande son soutien pour un jeune homme qu’il suppose dans un premier temps être son propre fils. Aiguillonné par une forte poussée de compassion et de culpabilité, il est prêt à aller à l’encontre des principes qui ont assuré sa réussite, à confesser son aventure à sa femme et à appuyer un scientifique juif pour un poste important. Il apprend en fin de compte que le jeune homme n’est pas son fils et, assistant le soir à une représentation à l’opéra, il décide de revenir à son existence et à ses positions d’avant.
Stefan ZWEIG, ‘Amok ou le fou de Malaisie’, dans : La confusion des sentiments et autres récits, coll. « Bouquins », Robert Laffont, Paris, 2013, 1312 p. Nouvelles traductions de 35 nouvelles de Stefan Zweig, romancier et nouvelliste autrichien majeur du XXème siècle, mort au Brésil en 1942 à Petropolis. (version originale “Amok, oder der Amokläufer”, 1922. ‘Amok laufen’ se dit de quelqu’un qui est devenu subitement fou meutrier). Le narrateur, passager d’un paquebot en provenance de Calcutta, se voit confier par un autre passager, médecin, une histoire extraordinaire. Le récit se situe dans une colonie néerlandaise, dans une zone marécageuse, où la brutalité de la mentalité coloniale est omniprésente, et d’une noirceur sans nom. Le médecin tombe amoureux fou d’une femme, qui lui demande de la faire avorter. Il refuse, elle part, il la cherche, la trouve à un bal, et le lendemain la retrouve agonisante. Elle meurt, son cercueil est embarqué sur le paquebot. Le médecin se jette à la mer avec le corps qui sombre au débarquement. On reste sans voix à ce récit, le style est fort, très impressionnant. Un grand moment de littérature. https://fr.wikipedia.org/wiki/Amok_ou_le_Fou_de_Malaisie
Stefan ZWEIG, "Vingt quatre heures de la vie d’une femme" ("Vierundzwanzig Stunden aus dem Leben einer Frau"), nouvelle extraite du recueil La confusion des sentiments, Trad. Françoise Wuilmart 2021, Pavillons Poche (Robert Laffont), préface d'Eric-Emmanuel Schmitt. Une jeune femme provoque un scandale en disparaissant subitement avec un jeune inconnu et en laissant mari et enfants ; seuls le narrateur et une vieille Anglaise prennent sa défense. Oui il est possible qu’une femme de la bonne société vive une passion amoureuse imprévisible, ainsi que va le narrer la dame anglaise, qui elle-même. … Commence alors une seconde histoire : l’héroïne veut sauver par amour un très beau jeune homme, qui n’a de cesse de retourner à sa propre passion : le jeu et la fascination de la roulette. Nouvelle toute en finesse, qui dissèque les sentiments des unes et des autres et qui nous offre quelques pages d’excellence sur le jeu des mains fébriles sur le tapis vert du casino.
Stefan ZWEIG, Voyage vers le passé, Livre de poche 2010 (Reise in die Vergangenheit.) https://www.hachette.fr/livre/le-voyage-dans-le-passe-9782253133148
THÉÂTRE
Franz Theodor CSOKOR, 3. November 1918, 1936. Rééd. Ephelant Verlag, Wien 1993. (Pour rappel, le 3 novembre 1918 est le jour de l'armistice pour l'Autriche). La pièce - l’œuvre la plus connue de Csokor - est emblématique de l'éclatement de l'Empire austro-hongrois. Elle a été jouée avec succès en mars 1937 au Burgtheater à Vienne. Dans une maison de convalescence militaire à la frontière entre la Slovénie et la Carynthie sont bloqués par la neige 9 militaires de l’empire austro-hongrois, une infirmière et un médecin : un Polonais, un Slovène, un Italien, un Tchèque, un Hongrois, et trois Autrichiens, dont le médecin juif. Sans nouvelles du monde, ils se distraient par des beuveries et des querelles. Le déserteur Kacziuk surgit et leur apprend que la flotte impériale a été remise aux Serbes. Kacziuk est marxiste et prône ouvertement ses idées. Chacun veut aussitôt retourner dans sa patrie. Le colonel Radosin, lui, croit toujours en l’empire et essaie en vain de rassembler sa petite troupe dans cette foi, puis se suicide. Après son enterrement, on débat une dernière fois de l’empire et de sa dissolution, puis tous se séparent. Seuls restent Ludoltz, l’Autrichien de Carynthie, et Zierowitz, le Slovène, pour un combat à mort sur cette terre que chacun d’eux revendique. Christina l’infirmière, qui était partie 2 jours avant, revient, porteuse de la nouvelle de la paix. Elle a peine à croire que tous soient partis vers leur patrie et que le colonel soit mort. Ludoltz rêve quelques minutes auprès d’elle du bonheur qu’ils auraient pu vivre ensemble. A minuit son combat avec Zierowitz commence.
Max FRISCH, Blaubart. théâtre à lire. (Barbe bleue). Suhrkamp ISBN 3-518-02844-8 – 1982. C'est la dernière œuvre littéraire de Max Frisch, dans laquelle il reprend son thème favori : la difficulté des relations humaines, dans le couple notamment. Ne pas figer autrui, l´être aimé surtout, dans une image qui le prive de sa complexité, de sa liberté. Le docteur Felix Schaad est accusé du meurtre d´une de ses dernières épouses, qui s´adonne à la prostitution, et avec laquelle il a conservé de très bonnes relations, libéré de sa jalousie idéaliste. Il vit son procès, auquel il se sent étranger, à travers des monologues intérieurs, qui le torturent. 61 témoignages-images, influencés par une présomption de culpabilité, l´empêchent d´assumer son innocence, qui ne peut jamais être totale, même s´il s´avère être victime plutôt que bourreau, trompé ou frustré par ses épouses successives. Un « me too » nuancé, à la décharge des hommes non-violents mais conditionnés, autant que les femmes, par des siècles de rôles attribués par les traditions, notamment religieuses.
Elfriede JELINEK, Winterreise, ein Theaterspiel. Rowohlt 2011. Trad. frse Winterreise, une pièce de théâtre, Seuil 2012. Neuf longs monologues, dont un sur l’affaire Natascha Kampusch. Lus avec fascination pour le travail clinique sur la langue et l’analyse sans pitié de la bêtise au front de taureau = du populisme, du refus de voir, et de la centration pleine de bonne conscience sur soi-même, sa famille et sa maison. Puis cherché la version française pour voir comment c’est même possible de rendre ce travail en fr. - et quel effet ça fait en fr. Le texte est inspiré du cycle de Lieder de Schubert (sur des poèmes de Wilhelm Müller) Winterreise. Il faudrait y revenir, analyser chacun des 8 chapitres - et explorer les chemins de l’inspiration prise dans les 24 Lieder de Schubert, musique, et paroles, pour parler d'aujourd'hui … (ce qui sera fait en 2023...)
Peter WEISS, Die Ermittlung, Suhrkamp, Frankfurt-am-Main 1965. (Trad.fr. L’Instruction, L’Arche 2000.) En 1964, le dramaturge allemand d’origine juive suit attentivement un procès qui se déroule à Francfort. Il s’agit du « procès d’Auschwitz » durant lequel plusieurs responsables du camp d’extermination doivent répondre de leurs faits et gestes. A partir de ses notes, l’auteur crée une œuvre théâtrale unique, un oratorio en onze chants, dont la justesse et l’intelligence sont bouleversantes. Construite en onze tableaux, cette pièce de théâtre fait entrer le lecteur de manière progressive dans l’univers concentrationnaire. La contradiction permanente entre la fuite, voire le cynisme, de certains accusés et la dignité des témoins rappelle, combien l’appareil judiciaire est un élément central de toute société se voulant moderne. Cette œuvre porte un témoignage collectif unique : elle réussit à la fois à transmettre et à émouvoir, sans jamais tomber dans la sensiblerie. C’est une œuvre nécessaire : elle devait être écrite et elle doit être lue.
Carl ZUCKMAYER, Der Hauptmann von Köpenick, Fischer Verlag 1999 (théâtre, 1931). En 1906, Wilhelm Voigt, un cordonnier de Prusse-Orientale qui avait fait plusieurs fois de la prison, loua un uniforme de capitaine prussien, enrôla un groupe de soldats et occupa l'Hôtel de ville de Köpenick, bourgade des environs de Berlin : il arrêta le maire, se fit remettre la caisse de l'hôtel de ville. Arrêté et condamné à 4 ans de prison, il n'en fit pas la moitié, gracié par l'empereur Guillaume II. L'affaire provoqua en Allemagne un formidable éclat de rire et assura la notoriété du personnage jusqu'à sa mort en 1922. La pièce de Carl Zuckmayer a rencontré un grand succès en 1931 et le sujet a fait l'objet de nombreux films. Zuckmayer met l'accent sur ce que vit Voigt avant d'en venir à revêtir un uniforme de capitaine : cherchant à se réinsérer dans la société allemande à sa sortie de prison, il est confronté à la bureaucratie prussienne qui rend cette réinsertion impossible, alors qu'il peut constater le prestige et le pouvoir des militaires auxquels tout est dû. Le ton est satirique, grinçant, la pièce est une véritable critique de la société wilhelminienne.
HUMOUR
Ben SCHOTT, Schottenfreude. German words for the human condition. London: John Murray 2013. 120 entrées en écriture gothique, typographie variée, bel objet relié toile format italien. (trad. fr. Il y a un mot pour tout. Editions du Sous-sol, 2016, trad. fr. D. Orhan). Un petit dictionnaire loufoque où l’auteur - un Britannique (!) - invente les mots allemands dont nous avons besoin pour exprimer, par exemple, cette satisfaction que l’on ressent à cocher ce qui est fait sur sa liste ‘à faire’. La langue allemande a un mot pour cela, d’après Ben Schott : Entlistungsfreude. Ou cette sensation, que nous avons tous connue, assis dans un train à l’arrêt, d’être en mouvement, alors que ce n’est que le train sur les rails d’à côté qui passe. Schott suggère : Eisenbahnscheinbewegung). Une ode réjouissante aux ‘mots justes’ que la langue allemande peut multiplier à l’infini !
Wladimir KAMINER, Der verlorene Sommer, Deutschland raucht auf dem Balkon, 2021, München, Goldmann Verlag (non traduit). Du côté des auteurs "venus d'ailleurs" ayant adopté la langue allemande, le journaliste et écrivain berlinois d´origine russe et juive Wladimir Kaminer, qui a connu la vie en Russie, en RDA, et réside aujourd´hui à Berlin, nous offre, après Russendisko, avec son « Été perdu » (Der verlorene Sommer), paru en 2021 aux éditions Goldmann, une lecture roborative et jouissive. Dans ces chroniques, sa malice iconoclaste, mais toujours bienveillante, témoigne d´une fine connaissance de son pays natal, des Allemands de l´Est et de l´Ouest, et de la nature humaine en général. Nous nous reconnaissons dans les portraits caustiques de toutes ces victimes du Covid qui ont perdu, comme lui-même, sans retour, du temps, du plaisir de vivre, et même un peu d´humanité, de sociabilité et d´intelligence. En rire nous rend plus résilients.
TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, BIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES
Manfred FLÜGGE, Le bleu des anges. Spécialiste de Heinrich Mann, Manfred Flügge est venu en 2014 à la Rochelle nous présenter son livre sur Heinrich Mann, Le Bleu des anges, qui fait référence au célèbre film “L’ange bleu" avec Marlène Dietrich, tiré du roman Professeur Unrat, de Heinrich Mann. Ecrit en français, il est publié chez Grasset. Il narre la biographie de Heinrich Mann, émigré en 1933, ses démêlés avec son célèbre frère Thomas, sa vie avec sa femme, ses problèmes d'argent et sa fin de vie aux Etats Unis. https://www.grasset.fr/auteurs/manfred-flugge
Franz KAFKA, Brief an den Vater. (Lettre au père). rééd. folio Gallimard 2€, trad. de l'allemand Marthe Robert. Texte posthume. Long réquisitoire de Kafka contre son père, dominateur et culpabilisateur. Impossible d'en faire une analyse critique sauf à faire la psychanalyse d'une lettre qui en est déjà une. Citations : "Je suis le résultat de ton éducation et de mon obéissance. (...) Tu me menaçais d'un échec, ton opinion était si grande, l'échec était inéluctable. (...) Je pouvais jouir de ce que tu me donnais, mais seulement dans la limite de ma culpabilité. (...) La peur que tu m'inspires me rend muet. Je t'ai fui pour me réfugier dans mon monde." ... Ecrire une lettre à l'autre est une thérapie bien connue pour couper le cordon et faire le deuil de la relation. Mais Kafka n'a pas été au bout de la thérapie, la lettre n'a pas été remise au père ni déchirée ni brûlée. Jusqu'au bout le père a maintenu son emprise sur son fils. Si vous avez eu une enfance heureuse avec votre père, ne lisez pas ce livre, vous trouveriez mille raisons de lui en vouloir. Si vous avez des griefs à son encontre, ne le lisez pas non plus, vous découvririez des raisons que vous n'aviez même pas soupçonnées.
Viktor KLEMPERER (1881-1963), Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten. Tagebücher 1933-1945, eine Auswahl, Aufbau Taschenbuch Vlg 1996, 361 pp. (Éd. frse 2000, Seuil, 2 vol. Mes soldats de papier, journal 1933-1941 et Je veux témoigner jusqu'au bout,1942-1945.) Si les récits de la vie quotidienne des Allemands sous le Troisième Reich ne manquent pas, plus rares sont les témoignages qui nous sont parvenus de ceux que le régime a persécutés mais qui ont réussi à y survivre. Aussi celui de Viktor Klemperer, qui a tenu quasi quotidiennement son journal entre 1933 et 1945, est-il un document particulièrement précieux et édifiant. Universitaire, spécialiste de la littérature française du XVIIème siècle, fils de rabbin mais s'étant converti au protestantisme, Viktor Klemperer a été, dés l'avénement du IIIème Reich, interdit d'enseigner ; à la différence de son illustre cousin, Otto, il n'a pu choisir l'exil mais, se sentant profondément allemand, il a voulu décrire les étapes de sa « mort civile » provoquée par les multiples brimades et interdictions auxquelles lui et sa femme furent soumis. Tenir un journal dans ces conditions était pour lui un combat spirituel contre la barbarie, lui permettait de survivre intellectuellement, mais représentait un risque considérable pour sa vie et celle de ses proches. D'ailleurs il n'a échappé que miraculeusement à la déportation et donc à une mort certaine, ayant pu quitter Dresde, avant d'être arrété, juste avant le terrible bombardement de février 1945. Lire ces carnets nous permet de vivre au quotidien les effets de l'impitoyable entreprise nazie d'éradication de la population juive. C'est un témoignage indispensable.
Maxim LEO, Histoire d’un Allemand de l’est, Actes Sud 2010 (Haltet euer Herz bereit. Eine ostdeutsche Familiengeschichte, 2009). Prix du livre européen. Maxim Leo, né en 1970 à Berlin-Est, est journaliste, scénariste et écrivain. Ce livre retrace près d´un siècle d´histoire de l´Allemagne à travers la vie de sa famille, et cherche à éclairer les destins de ses deux grands-pères, de la montée du nazisme à la seconde guerre mondiale. L´un, Gerhard, juif et exilé avec ses parents en France en 1933, entrera dans la Résistance. L’autre, Werner, resté en Allemagne, profite de la croissance économique puis est envoyé faire la guerre en France, où, fait prisonnier, il reste jusqu’en 1948. Après la guerre, les deux grands pères avec leurs parcours différents ont participé activement à la construction de la RDA (DDR). Membres de la SED, tous les deux ont défendu la politique du parti, même après la chute du mur. La deuxième génération, celle des parents de Maxim, ce sont des enfants de la RDA. Une fois le mur érigé, leur vie est partagée entre espoir, optimisme et déception. Les disputes politiques entre ses parents ont marqué l´enfance de Maxim. Lui n’a eu de problèmes avec le régime que dans les trois dernières années, lorsqu’il participe aux mouvements contestataires. Récit passionnant des déchirements d´une famille face au nazisme puis au régime communiste.
Verena MAYER & Roland KOBERG, Elfriede Jelinek, un portrait, Seuil 2009 (Rowohlt 2006). Sorti l’année suivant son prix Nobel, mais écrit avant. Biographie axée sur son travail d’écrivaine, la réception de ses livres, ses réseaux de collaboration pour le théâtre etc., l’écriture comme moteur de l’invention littéraire et comme pilier de vie. La genèse de l’œuvre d'EJ est abordée dans sa progression, chaque œuvre analysée dans son contexte de production et de réception. Avec en arrière-plan les complexités du vécu personnel, le père d’origine juive survivant silencieux puis perdant la parole et la mémoire dans la maladie, la mère une battante qui dresse sa fille à être ce qu’elle n’a pas pu devenir : une musicienne, et veille sur elle jusqu'à ses 9X ans. Et ce qui s’en est suivi pour EJ : conscience hyperaigüe des nœuds relationnels, colère, provocation, retrait. Ce qui fait d'elle une écrivaine pythie, antenne de résonance des conflits sociaux, psychiques, culturels, pour secouer une société du faire-semblant en s'attaquant à tous les éléments du désordre ambiant. Jusqu’à devenir une écrivaine virtuelle, recevant son Prix Nobel par écrans interposés, qui ne publie plus que des textes pour la scène, et écrit désormais pour son site en libre accès. Le comité Nobel lui décerne le prix en 2004 pour “le flot musical de voix et de contre-voix”, qui dévoile “avec une exceptionnelle passion langagière l’absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux”. Son discours pour le Nobel : Im Abseits (en fr. 'Á l'écart') est sur son site : www.elfriedejelinek.com et en fr. sur le site du Nobel : https://www.nobelprize.org/prizes/literature/2004/jelinek/25211-elfriede-jelinek-conference-nobel/
Hans Erich NOSSACK (1901-1977) : L’effondrement. eds Héros-Limite 2021, Postface de Walter Boehlich 1961, 80 p. (Der Untergang, 1948). Nouvelle trad. J-Pierre Boyer & Silke Hass. Un récit puissant, témoignage d’un survivant par hasard des bombardements de Hambourg en 1943 qui ont détruit la ville, personnel, pudique et dépouillé, et par cela universel. Récit où le JE qui témoigne erre entre passé effacé par les bombes et futur à inventer. Dans le chaos de l’impensable, des sentiments contradictoires s’entrecroisent : le soulagement : enfin c’est arrivé = la fin ; la tentative illusoire de chercher dans les ruines des traces de la vie d’avant : “nous n’avons plus de passé”; la parole devient inopérante, la haine est dérisoire, toute action est absurde, l’idée d’avoir possédé des objets est inconcevable, et même son journal tenu depuis 25 ans, disparu. “Nous sommes en dehors du temps”, devenus pur présent. Chacun, survivant ou réfugié, erre pour soi-même, mais le JE reste attentif aux autres souffrants, il ne craint plus qu’une chose : “être écrasé par la souffrance du sort commun”. Ce récit dépouillé jusqu’à l’os, empathique jusqu’avec les chats errants et les arbres à moitié calcinés qui bourgeonnent, qui “se refont un printemps pour survivre”, impose le respect par son économie de moyens et sa grande humanité.
Katherine SAYN-WITTGENSTEIN, La Fin de ma Russie, Journal 1914-1919. Phébus, Paris, 2007, trad. Vera Michalski-Hoffmann. Vs. orig. Als unsere Welt unterging, München, Siedler Verlag 1997. Dans son journal retrouvé, la princesse Katherina Sayn-Wittgenstein fait preuve d’une perspicacité impressionnante, et inattendue, sur la société russe à l’époque de la révolution. Elle s’interroge sur le comportement de sa classe sociale dans de nombreuses situations vécues, réfléchit sur les erreurs, accuse, essaie de justifier. C’est un reflet captivant de la révolution russe vue de l’intérieur. K S-W décrit sa vie de tous les jours au début de la première guerre mondiale, son activité comme infirmière qu'elle abandonne par épuisement, son angoisse quotidienne à l'approche de l’armée allemande, son écœurement face à la brutalité des bolcheviks anéantissant l’aristocratie. Elle décrit son impuissance et celle de sa famille devant l’effondrement de la Russie, les torts de sa génération. Ce journal a été retrouvé au fond d’un tiroir bien des années après la fuite des Wittgenstein.
Michael STEGEMANN, Ich bin zu Ende mit allen Träumen, Franz Schubert. (non traduit), roman biographique. Piper Taschenbuch 1998 (Piper 1996), 488 p. Par un musicologue, la biographie romancée en forme de journal intime de Franz Schubert : langage intérieur et fragments de dialogues inventés, de son adolescence à ses derniers jours, en langue familière autrichienne. La structure du livre est biographique : Im Dorfe; 1797-1813; puis un chapitre par année jusqu'à sa mort en 1828 à 31 ans à peine. La vie de Schubert est éminemment romanesque : lutter pour être admis à vivre pour composer, un amour malheureux pour une jeune cantatrice, gagner de quoi vivre pour composer... Jaillissement d'idées, bouillonnement créatif permanent, révolte contre le père, contre la bienpensance religieuse et royaliste. Rage de vivre et surtout de composer : Tonsetzer und die Musizierrerei, c'est sa vie. Ex. : 8 Lieder en une journée marathon pour ses 8 amis qui le piègent dans une auberge, et des cantates, messes, quatuors, musiques de scène, symphonies. Viendra la maladie, et le typhus qui l'achève... Travail stylistique brillantissime : se tressent le langage parlé autrichien entre Franz et ses frères ou camarades d'école, de musique et de beuverie, le langage formel orné de la politesse hiérarchique du moment, "der Herr Vater", les courriers aux destinataires de ses œuvres pour qu'elles soient jouées en public et rémunérées..., le langage journalistique des annonces de concerts, des extraits de presse. Mais c'est un roman.
Uwe WITTSTOCK, Februar 33. Der Winter der Literatur, Roman. C.H. Beck. 2021 (+ Hörbuch, Argon Verlag). Trad. fr. Février 33. L’hiver de la littérature, Grasset, janvier 2023. L'auteur est journaliste et critique littéraire. Né en 1955 à Leipzig, sa famille s’est installée à Bonn en RFA en 1957. Il a travaillé comme éditeur de littérature contemporaine allemande et a été rédacteur littéraire à la FAZ (Frankfurter Allgemeine Zeitung) avec Marcel Reich-Ranicki. Le livre revient sur les événements qui se sont déroulés pendant le mois de février 1933 en Allemagne. Le 30 janvier Hitler est nommé chancelier. Aujourd’hui nous savons de quelle manière la prise du pouvoir par les nazis a changé la vie en Allemagne, en Europe et dans le monde entier. L’auteur a choisi d’évoquer ces changements du point de vue des personnes qui les ont vécus dans l´incertidude et l’ignorance de ce qui allait suivre. Jour par jour pendant un mois, il retrace les réactions des écrivains, journalistes et intellectuels devant la montée du régime nazi. Il rappelle les rôles publics et les situations personnelles de la famille Mann : Thomas, Heinrich, Klaus et Érika, de Bertolt Brecht, Erich Maria Remarque, Alfred Döblin, Carl Zuckmayer, Else Lasker-Schüler, Gottfried Benn… Avec une dramaturgie bien maîtrisée et dans un langage clair, Wittstock restitue l’ambiance de tout un pays frappé par l’insécurité et la violence. On suit la rapidité avec laquelle la dictature nazie s’est installée en Allemagne en février 1933. Livre fortement recommandable.
Natascha WODIN, Sie kam aus Mariupol, Rowohlt Verlag, rororo 2017. Ed. frse Elle venait de Marioupol, À la recherche d’une famille perdue en Union Soviétique, Métailié 2020, trad. Alban Lefranc. Natascha Wodin est la fille de travailleurs ukrainiens déportés pendant la 2me guerre mondiale en Allemagne pour y travailler. Née en 1945 en Bavière dans un camp de personnes déplacées, elle vit à Berlin depuis 1994. Traductrice-interprète du russe, elle a publié plusieurs romans pour l’essentiel autobiographiques. Elle venait de Marioupol couvre un siècle de l’histoire d’une famille ukrainienne, de l’époque tsariste aux années 2000. "Elle", c’est Jewgenia Iwaschtschenko, la mère de l’auteur, née en 1920 dans une famille bourgeoise à Marioupol et qui s’est suicidée à 36 ans en Allemagne. Le livre raconte la petite histoire dans la grande. Par ses recherches généalogiques, l’auteur reconstruit les destins de cette mère et de membres de sa famille. Le récit parcourt les différentes catastrophes humanitaires qu'a connues l'Ukraine lors des deux guerres mondiales, de la révolution russe, du régime de Staline, de la montée du nazisme, et dans l’après-guerre en URSS et en Allemagne. Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, j’ai été particulièrement attiré par le titre du livre et la photo de couverture, et j’ai été intéressé d’apprendre des aspects de l’histoire de l’Ukraine longtemps méconnus de la majorité d’entre nous, comme le cas des "Ost-Arbeiter". L’histoire douloureuse de 20 millions de travailleurs slaves - non juifs - déportés, exploités comme des esclaves et parqués dans des camps de travail forcé pour l’industrie et l’agriculture allemande, reste largement inconnue en Allemagne. Ce livre est un témoignage humainement et historiquement très fort. Prix Alfred Döblin 2015. Prix de la Foire du Livre de Leipzig 2017. Sie kam aus Mariupol est également disponible en allemand comme livre audio chez Argon Verlag (et sur Spotify).
Stefan ZWEIG (1881-1942), Le Monde d'hier, Trad. Serge Niemetz 1993, le Livre de poche. (Die Welt von gestern, 1944). Rédigé en 1941 alors que, émigré au Brésil, Stefan Zweig avait déjà décidé de mettre fin à ses jours, Le Monde d'hier est l'un des plus grands livres-témoignages de notre époque. C'est un livre testament, évoquant la Vienne flamboyante du début du XXe siècle, avant la chute. Vendu à 20 000 exemplaires chaque année, il résonne avec le monde actuel par son évocation des élites cultivées, vivant en vase clos, pour qui il était impensable qu’un Hitler puisse prendre le pouvoir, et dont la posture morale a provoqué un repli sur soi et la haine des « masses silencieuses », qu'on ne cherchait pas à comprendre. Il l’envoie à son éditeur à Stockholm peu avant son suicide, celui-ci le publiera en 1944.
Stefan ZWEIG : Marie-Antoinette, le Livre de poche. (Marie Antoinette. Bildnis eines mittleren Charakters. Insel, Leipzig 1932).
https://www.grasset.fr/livres/marie-antoinette-9782246168645
https://www.babelio.com/livres/Zweig-Marie-Antoinette/63998
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Antoinette_(biographie_de_Stefan_Zweig)
et un site dédié à Stefan Zweig :
https://www.stefanzweig.de/index.html
ESSAIS, FRAGMENTS
Ferdinand von SCHIRACH, Kaffee und Zigaretten, BTB-Verlag 2019. L’auteur, qui est aussi avocat, est désormais mondialement célèbre pour ses chroniques judiciaires rassemblées dans les recueils Verbrechen (Crimes) et Schuld (Coupables), ainsi que pour le roman L’affaire Collini porté au cinéma. Recueil de divers textes brefs, récits, commentaires, souvenirs personnels (sa dépression et une tentative de suicide), rencontres, relevant du genre des mélanges ou miscellanées. On retrouve aussi parfois des allusions à des procès où Ferdinand von Schirach a joué le rôle de défenseur.
Saison 1 du cercle littéraire, février-juin 2022
ROMANS - NOUVELLES - THEATRE - POLARS, THRILLERS - TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES - POÉSIE - ESSAIS - BD, ROMANS GRAPHIQUES
ROMANS
Marlen HAUSHOFER, Le Mur invisible, Babel Actes Sud 1985 (Die Wand, Claasen Verlag 1968). Marlen Haushofer, romancière autrichienne, nous fait partager la vie d'une femme qui se retrouve, suite à une catastrophe sans doute planétaire, seule en pleine forêt. Version moderne de Robinson Crusoé mais où le rôle de Vendredi est assumé par des animaux domestiques qui participeront à sa survie. Nous ne saurons rien de ce qui se passe de l'autre côté du "mur" mais vivrons avec l'héroïne sa lutte contre la solitude et la peur. Cette histoire nous est destinée comme une bouteille à la mer.
Edgar HILSENRATH, Jossel Wassermanns Heimkehr. München, Piper, 1993. Trad. fr. Le retour au pays de Jossel Wassermann, Albin Michel 2007. Trad. revue, Éditions Le Tripode, 2016. Un homme originaire d’un shtetl juif de Bucovine à la frontière roumaino-ukrainienne et qui a fait sa vie en Suisse convoque à son lit de mort notaire, avocat et secrétaires pour leur dicter son testament en faveur de son village natal, et leur raconter dans tous ses détails sa jeunesse au village, témoignage dont il veut faire hériter sa communauté. Pendant ce temps, les nazis déclenchent la guerre et ses héritiers sont déportés pour l’anéantissement, le village est vidé et razzié. Ce roman est un vibrant hommage à la mémoire, à la capacité de faire revivre en esprit les événements minuscules et les personnages de tout un petit monde. Sur un ton impertinent et humoristique il narre les dialogues quotidiens, l’absurdité de la vie de tout un chacun, faisant revivre un monde anéanti. Hilsenrath est un romancier d’une inventivité sans limite pour évoquer avec un humour noir ravageur et un grand sens de l’absurde l’expérience des victimes et des survivants de la shoah (et du génocide des Arméniens). “La langue allemande est (sa) patrie”, lui qui après avoir bourlingué d’Allemagne en Bucovine, en Palestine, puis aux Etats-Unis, est revenu 25 ans après s’installer et publier son œuvre en Allemagne. Ecouter-voir sur France-Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/edgar-hilsenrath-1926-2018-rire-tragique-4251727 et son site : https://hilsenrath.de
Edgar HILSENRATH. « Dans le roman Le Conte de la pensée dernière (1989 ; Albin Michel, 1992, retraduit au Tripode, en 2014, sous le titre Le Conte de la dernière pensée), pour lequel il a reçu le prestigieux prix Alfred Döblin, l’auteur évoque cette fois le génocide du peuple arménien (1915-1917), en le mettant en parallèle avec la Shoah. La forme du conte qu’il a choisi de lui donner signifie aussi que l’histoire n’a plus de témoins et que la littérature est irremplaçable parce qu’elle devient la gardienne du souvenir.” <du Monde des Livres, 3 janvier 2019>
Edgar HILSENRATH (1926-2018), Orgasme à Moscou, Attila 2013, illustr. couleurs de Henning Wagenbreth. (première publication : Gib acht, Genosse Mandelbaum, Langen Müller 1979, reparu sous le titre : Orgasmus in Moskau, Piper 1982). Parodie de roman d’espionnage, d'un burlesque déjanté. La fille unique du roi de la mafia sicilienne de New York, en voyage à Moscou, tombe folle amoureuse et enceinte d’un petit juif moscovite interdit de passeport. Le père, ultrariche et faisant feu (!) de tous ses pouvoirs, fait mander un spécialiste en enlèvements internationaux pour lui ramener le géniteur et qu’il épouse sa fille, selon la morale sicilienne. Ce qui fera transiter le fiancé par la zone des frontières de l'ancien empire autrichien (Roumanie, Hongrie, aux confins de l'Ukraine et de la Russie), les lieux du shtetl d’enfance et du ghetto où E. Hilsenrath a passé son adolescence… De rebondissement en rebondissement, l'histoire en arrive jusqu'à Jérusalem... A la base de ce roman, il y a un synopsis de film d’espionnage commandé à E.H. par Otto Preminger. Hilsenrath, un conteur qui n'a pas froid aux yeux et qui secoue le lecteur par son humour corrosif, entre événements catapultés et dialogues improbables, inventant à chaque livre un nouvel art de raconter. Toute l'œuvre d'Edgar Hilsenrath est désormais disponible en français aux éditions Le Tripode (successeur des éditions Attila) :
https://le-tripode.net/livre/edgar-hilsenrath/meteore/orgasme-a-moscou
Daniel KEHLMANN, Die Vermessung der Welt, Roman, Rowohlt, Hamburg 2005. Trad. fr. Actes Sud 2007 : Les arpenteurs du monde. (poche Babel 2009). Adapté au cinéma en 2012. Autour de la rencontre (fictive) entre le naturaliste et géographe Alexander von Humboldt (1769-1859) et le « Prince des mathématiciens » et astronome Carl Friedrich Gauss (1777-1855). Un bestseller mondial du jeune romancier autrichien.
&
Ilona JERGER, Und Marx stand still in Darwins Garten, Roman, Ullstein, Berlin 2018. Trad. fr. Marx dans le jardin de Darwin, Editions de Fallois 2019. Réédtion poche, Pocket 2020. Ce livre imagine la rencontre, à la fin de leur vie en Angleterre, du naturaliste et paléontologue anglais Charles Darwin (1809-1882) et du philosophe et économiste Karl Marx (1818-1883). La première incursion dans le roman d’une journaliste scientifique.
Ces deux livres, écrits avec vivacité et humour, de lecture aisée, inventent chacun à sa façon la rencontre entre deux grands penseurs de tempéraments opposés, et évoquent en les faisant dialoguer leurs conceptions du monde, leurs découvertes scientifiques, mêlés à des épisodes de leur vie privée.
Ulla LENZE, Les trois vies de Josef Klein, eds. Jean-Claude Lattès 2021 (Der Empfänger, Klett-Cotta Vlg 2020). Roman sur un agent secret des nazis aux Amériques dans les années 30-50. Le premier de cette romancière à être traduit en fr.
Robert MENASSE, Die Hauptstadt (2017), Deutscher Buchpreis. Trad. fr. La capitale, Verdier, 2019. Roman foisonnant et caustique d’un grand auteur autrichien sur Bruxelles et ses réseaux européens.
Robert NEUMANN, Die Kinder von Wien, Eichborn, ‘die andere bibliothek’ 2008, (1re publication en anglais 1946 Children of Vienna, 1re trad. all. de l’anglais 1948. Réécrit en allemand par l’auteur en 1971. Retrad. fr. de la vs. all. Les enfants de Vienne, eds. Liana Levi 2009). Dans la Vienne en ruines de 1945, une petite communauté d’enfants dans une cave. De la vie ils ne connaissent que la guerre et les techniques de survie. L’après-guerre à hauteur d’enfant. Bouleversant. Par un auteur viennois satiriste de l’avant-guerre exilé en Angleterre en 1933, qui adopte l’anglais, puis migre en Suisse et revient à la langue allemande.
Anna SEGHERS, Das siebte Kreuz, vs all. Mexique et vs angl. New York 1942, trad. fr. La septième croix, Gallimard 1947, rééd. 2020 nouv. traduction, eds. Métailié, postface de Christa Wolf. Dans l'Allemagne nazie de 1937, 7 opposants prisonniers dans un camp s’évadent. S’en suit une chasse à l’homme. Le chef du camp fait ériger sept croix pour les torturer à leur reprise. Seul l’un d’eux parvient à se maintenir 7 jours en vie, avec l’aide de quelques personnes, et atteint la frontière hollandaise. Signe d’espoir, encourageant à la lutte contre la répression nazie. Immense roman sur l’Allemagne hitlérienne des années 1930, d’une écrivaine alors en exil en France. A lire ou relire absolument.
Uwe TIMM, Moringa, dtv 1978, roman, non traduit en fr., sur la colonisation allemande en Namibie.
Uwe TIMM, Die Entdeckung der Currywurst, dtv, München 2008 (Kiepenheuer und Witsch, Köln 1993). Le souvenir passe-t-il par le goût? Depuis la petite madeleine de Proust, on le sait. Dans ce bref roman ('Novelle' en alld.) le narrateur nous raconte sa recherche d’une dame dont il croit qu’elle a inventé la saucisse au curry. Il la retrouve, longtemps après, en train de tricoter. Mais elle raconte une toute autre histoire, celle de son histoire d’amour avec un soldat allemand déserteur en 1945 à Hambourg. On est tenu en haleine par le récit: va-t-il être fusillé comme déserteur ou bien s’en sortira-t-il vivant? Un récit passionnant et touchant. Uwe Timm, né à Hambourg en 1941, a écrit de nombreux romans. https://books.openedition.org/pub/40784
Franz WERFEL, Les 40 jours du Musa Dagh, Albin Michel 1936, rééd. 2015. (Die vierzig Tagen des Musa Dagh, 1933). Un roman épique sur le génocide des Arméniens et leur rébellion contre les Turcs en 1918, par le grand romancier Franz Werfel. La résistance héroïque en 1915 des villages du Musa Dagh (mont Moïse) en Cilicie contre l’attaque des Turcs venus les exterminer. La marine française sauva 4000 personnes réfugiées sur la plage et les transporta en Egypte. « Cette communauté villageoise arménienne, condamnée par les convulsions d’une histoire qui la dépasse, m’est devenue proche. Guettée par la mort, elle revendique sa liberté. Assiégée par un ennemi impitoyable, trahie par une société indifférente, elle choisit la résistance armée… Ce roman est un chef-d’œuvre. » Elie Wiesel (extrait de la préface). »
http://www.acam-france.org/bibliographie/auteur.php?cle=werfel-franz
NOUVELLES
Wolfang BORCHERT (1921-1947), "Das Holz für Morgen". Tiré de : Die traurigen Geranien und andere Geschichten aus dem Nachlass. Rowohlt, Reinbek 1995. Auteur clé de la "littérature des décombres" (Trümmerliteratur) de l'immédiat après-guerre. Cette nouvelle, écrite peu avant la mort précoce de l'auteur (1921-1947), parle d’un jeune homme brisé par la guerre et désespéré. L’idée du suicide l’habite, il veut passer à l’acte. En montant au grenier il redécouvre brusquement des rayures abimant la rampe du haut en bas de l’escalier, traces qu’il a occasionnées lui-même un jour avec un outil coupant. Cet acte oublié le ramène à la réalité, il veut le réparer et dépose son peu d'argent près de la loge du concierge. En même temps la voix de sa mère se fait entendre, l’appelant pour chercher du bois. Il descend en courant, courir après la vie….
Wolfgang KOHLHAASE, "Die Erfindung einer Sprache", dans : Kohlhaase W. Erfindung einer Sprache und andere Erzählungen, Klaus Wagenbach Verlag, Berlin 2021. Première version 1977 sous le titre 'Silvester mit Balzac und andere Erzählungen', Aufbau Verlag, Berlin. L’auteur de la nouvelle est cinéaste et auteur de scénarios et de pièces radiophoniques. La nouvelle, non parue en français, est la source d’inspiration du film “Persische Stunden”, “Leçons de persan”, de Vadim Perelman (2020). Pour sauver sa peau, un jeune prisonnier juif d’un camp d’extermination nazi se fait passer pour persan et invente jour après jour une langue pour l’enseigner au kapo du camp qui rêve d’une carrière en Iran “après la guerre”. Accessible pour lecture en ligne (Leseprobe) à :
https://www.buecher.de/shop/erzaehlungen/erfindung-einer-sprache-und-andere-erzaehlungen/kohlhaase-wolfgang/products_products/detail/prod_id/60783581/
Tim KROHN, Herr Brechbühl sucht eine Katze, éd. Galiani Berlin, 2017, ré-éd. Diogenes Verlag Zurich, 2018, 460 pages. Disponible uniquement en allemand. L'auteur, Tim Krohn, est né en Allemagne en 1965, mais a grandi et vit en Suisse. L'action du livre se déroule dans une résidence zurichoise, dont les habitants sont retraités, étudiants, immigrés .., et l'oeuvre consiste en 65 courtes nouvelles, traitées à la manière d'une série télévisée (l'auteur écrit aussi des pièces de théâtre ainsi que radiophoniques). Le processus de création est intéressant : Tim Krohn a lancé un crowdfunding (financement participatif) en ligne, et vendait chaque histoire avant de l'avoir écrite ! Les acheteurs choisissaient un sentiment humain (le bonheur, l'orgueil .... ) dans une liste proposée par l'écrivain, avec en plus la possibilité d'ajouter trois mots personnels à intégrer dans l'histoire qui serait créée.
Siegfried LENZ (1926-2014), "Der Leseteufel", nouvelle tirée du recueil So zärtlich war Suleyken, Masurische Geschichten, Hoffman und Campe Verlag 1955 (Le diable de la lecture. de : Tendre était Suleyken, Histoires de Mazurie, non traduit en fr.). Le premier recueil de nouvelles d'un auteur majeur de l'après-guerre, nouvelliste, romancier et journaliste, originaire de Mazurie (jadis Prusse orientale, aujourd'hui en Pologne). Ce recueil est inspiré des petites gens de la région de marécages et de forêts de son enfance, lieu clé de son œuvre. Un vieux paysan découvre sur le tard tout seul la lecture. Sa fureur de lire le plonge dans les rares ouvrages imprimés qui passent à sa portée (almanachs, manuels techniques), et suscite chez lui un comportement étrange pour son environnement illettré, ... qui lui sauvera la vie face à l'attaque d'une bande armée.
Rainer Maria RILKE, Au fil de la vie (Nouvelles et esquisses) / Am Leben hin (Novellen und Skizzen), Folio bilingue*, Editions Gallimard, 2021. 11 courtes nouvelles, publiées en 1898, mélancoliques, touchantes, parfois cruelles, autour du temps qui passe, de la vieillesse, de la mort. (*Dans les éditions bilingues de la série Folio bilingue à https://www.folio-lesite.fr/Catalogue/Folio/Folio-bilingue , les textes français et allemands se font face en double page. Un excellent moyen pour le germanophile qui est seulement moyennement germanophone de goûter les auteurs allemands et autrichiens).
Bernhard SCHLINK, « La circoncision », nouvelle extraite du recueil Amours en fuite, Folio 2006 (Liebesfluchten, 2000). Andi et Sarah, jeunes Américains des années 2000, vivent à New York et s’aiment. Mais Andi est d’origine allemande et Sarah est de religion juive. Le passé des uns et des autres va s’introduire dans leur amour.
Aux Editions Sillage, une collection de volumes petit format de textes brefs du domaine germanique, en expansion rapide, à suivre : https://editions-sillage.fr/?tag=germanique
dont :
Heimito von DODERER, Mort d’une dame en été (Tod einer Dame im Sommer, nouvelle parue pour la première fois en 1966 dans le recueil Unter schwarzen Sternen (Münich, Biederstein Verlag). La veuve d’une personnalité importante de Vienne vient à mourir, seule dans un grand et bel appartement. Le narrateur, seule personne des connaissances de cette dame à être resté durant l’été à Vienne, va se trouver obligé d’organiser les obsèques. D’où une critique assez pétulante des habitudes de la bonne société viennoise durant l’été.
&
Joseph ROTH, La légende du Saint buveur (Die Legende vom heiligen Trinker) est son dernier texte, paru pour la première fois en volume à Amsterdam en 1939, après sa mort à Paris. Le clochard Andréas va passer la nuit dehors sous un pont de Paris lorsque, par miracle, surgit un homme bien vêtu qui lui donne deux cent francs. S’en suivent diverses aventures au cours desquelles Andréas s’efforce (et réussit pour ensuite mieux la perdre) de rassembler la somme due à Sainte Thérèse. On peut penser que sur la fin de sa vie, Joseph Roth ayant sombré dans l’alcool, a ainsi écrit une sorte de testament teinté d’espoir sur la condition de clochard parisien.
THEATRE
Patrick SÜSKIND, La Contrebasse. le Livre de Poche (Der Kontrabass, Diogenes Verlag, Zurich,1984). Ce monologue, écrit pour le théâtre, est un texte rythmé, vécu par l’instrumentiste, qui mélange à la fois la vie de la contrebasse et celle, plus intime, du musicien. Leur relation est passionnelle et inextricable, de l’amour absolu à la détestation totale. Un vrai régal !
POLARS, THRILLERS
Ingrid NOLL, Der Hahn ist tot, Diogenes Verlag, Zürich 1991 (ré-éd. 2001). Trad. fr. J-L Tiesset, Rien que pour moi, Calmann-Levy, 1996. Ingrid Noll (1935- ), considérée comme "la reine du polar allemand", est traduite en de nombreuses langues. Une cinquantenaire solitaire tombe amoureuse, la dernière chance de sa vie. Elle fera tout pour avoir cet homme, jusqu'à devenir une tueuse en série, éliminant ses rivales réelles ou supposées. Sans trop vouloir révéler, il n'y a que le chien qui s'en sorte indemne ! Cynique, amoral, un régal d'humour noir. Le titre allemand évoque le canon à 5 voix français : Le coq est mort. Traduit dans 27 pays. https://de.wikipedia.org/wiki/Ingrid_Noll
Andrea Maria SCHENKEL, Tromperie, Actes Sud 2020 (Der Täuscher, Hoffmann und Campe Verlag, 2013). Ce roman policier relate l’enquête faisant suite à un double meurtre qui a défrayé la chronique en Allemagne en 1920. L‘accusé Täuscher, fils de bonne famille, gâté par la vie mais (et?) ayant deux maîtresses, aura beau tout tenter pour se défendre, il sera condamné à la peine de mort ; mais n’était-il pas un assassin trop parfait ?
TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, BIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES
Wibke BRUHNS, Meines Vaters Land, Geschichte einer deutschen Familie. Econ, München 2004. Trad. fr. Le pays de mon père, Arènes 2009 et Livre de poche. Quête autobiographique d’une ex-journaliste en vue, sur son père exécuté en 1944 pour complot contre Hitler.
Marie DARRIEUSSECQ, Etre ici est une splendeur, Vie de Paula M Becker, POL 2016. + poche Folio. Le livre retrace, par fragments, la vie de Paula Becker (1876-1907), peintre allemande pré-expressionniste, admiratrice de Cézanne et Gauguin, tiraillée entre sa vie de couple avec Otto Modersohn, peintre conventionnel et sa chère liberté, séjournant plusieurs fois à Paris notamment pour suivre des cours aux Beaux Arts, et morte après son premier enfant. Les tableaux et la correspondance de l’artiste permettent à MD de reconstituer ce parcours d’une jeune femme éprise de liberté à Paris, amie de Rilke et fréquentant l'avant-garde artistique et littéraire. Paula a vécu à Worpswede, un village au nord de l’Allemagne qui abritait une colonie d’artistes. Elle y peignait des modèles de la campagne environnante, des visages, des corps. Ecriture fragmentée, au fil de la recherche pour reconstituer la vie de cette artiste méconnue.
Hans DIBOLD (1904-1991), J’étais médecin à Stalingrad (eds France-Empire 1955), repris en Livre de poche. (Arzt in Stalingrad. Passion einer Gefangenschaft, 1949). Roman autobiographique fortement documentaire (ou document fortement romancé) d’un médecin militaire autrichien exerçant dans un camp de prisonniers de guerre en Union soviétique de 1943 à 1947. Il est question d’actes chirurgicaux et d’autopsies, des relations entre les prisonniers allemands et les Russes… Cet ouvrage se veut un témoignage significatif sur l’exercice de la médecine en temps de guerre..
Philip OLTERMANN, The Stasi Poetry Circle. The Creative Writing Class that Tried to Win the Cold War, Faber, 2022. Trad. fr. Le Cercle des poètes de la STASI, 2024, Paris, Seuil. Ecrit par un journaliste allemand. Convaincue que les écrivains intégraient des messages subversifs dans leurs oeuvres, la Stasi a décidé de former ses propres écrivains et de mettre la poésie au service de la lutte contre l’ennemi de classe. Des soldats et gardes-frontières se réunissaient tous les mois pour apprendre à écrire des vers lyriques …. Oltermann, journaliste au Guardian et à la Süddeutsche Zeitung, a passé 5 ans à fouiller dans les archives de la Stasi. https://www.faber.co.uk/product/9780571331192-the-stasi-poetry-circle/
Sasa STANISIC, Herkunft (2019). A reçu le Deutscher Buchpreis. Trad. fr. Origines, Stock 2021. Ouvrage autobiographique à la forme poétique et originale. L’auteur, né en Yougoslavie d’un père serbe et d’une mère bosniaque, vagabonde dans sa mémoire à la recherche de ses origines. Avec autodérision et une grande justesse, il évoque son arrivée en Allemagne, son adolescence et la difficulté à trouver sa place et à comprendre qui l’on est. Un ouvrage dans lequel l’intime rejoint l’universel.
POESIE
Peter NIM, Zwölf Haiku (bilingue all.-fr.). (beau livre illustré grand format sur papier artisanal).
&
Peter NIM : Jahr und Tag /An Jour, 136 Haiku. ill. Pierre Tual, trad. fr. Joël Vincent, éd. Delatour France (2009). Edition courante et plus exhaustive du choix de haiku ci-dessus.
Pascal C. TANGUY, Fenster zum Licht - Fenêtre ouverte sur la lumière, Lyrik / Poésie, Albatros Verlag Wien 2012, Cet auteur autrichien bilingue joue de ses deux langues, écrivant ses poésies soit en français, soit en allemand, avec autotraduction en vis-à-vis. Poèmes très brefs, un ou deux mots par vers … Il écrit aussi pour le théâtre, en français. Voir son site : http://pascalctanguy.com/PASCALCTANGUY/Pascal_C_Tanguy.html
BD, ROMANS GRAPHIQUES
Simon SCHWARTZ, Drüben, Avant-Verlag 2009, roman graphique noir & blanc. In seinem Debüt "drüben!" erzählt der junge Zeichner und Autor Simon Schwartz von der schwierigen Entscheidung seiner Eltern, Anfang der 1980er Jahre die DDR für immer zu verlassen. Er verknüpft in seiner Erzählung ein wichtiges Kapitel der jüngeren deutschen Vergangenheit mit seiner eigenen persönlichen Geschichte. Damit opponieren beide nicht nur gegen die allgegenwärtige Diktatur des Arbeiter- und Bauernstaates, sondern zwangsläufig auch gegen Teile ihrer eigenen Familien und ihrer Herkunft. Ab diesem Zeitpunkt sollte ihr einziger Sohn zwischen zwei deutschen Staaten aufwachsen. Simon Schwartz verknüpft in seiner Erzählung ein wichtiges Kapitel der jüngeren deutschen Vergangenheit mit seiner eigenen persönlichen Geschichte. https://www.avant-verlag.de/comics/drueben/#cc-m-product-8774125520
ESSAIS
Johannes WILLMS, Die deutsche Krankheit. Eine kurze Geschichte der Gegenwart, Carl Hanser Verlag 2001. (Trad. fr. B. Lortholary, La maladie allemande. Une brève histoire du présent, Gallimard 2005). C'est un livre à dimension pamphlétaire sur l'histoire de l'Allemagne, en 5 parties : Morphologie, Infection, Incubation, Paroxysme, Mutation (l'avant-dernière étant l'histoire du nazisme). Il analyse le comportement du petit bourgeois allemand face aux évenements passés, face au nazisme, et plus récents comme la réunification, et diagnostique un comportement dérangé par rapport à la normalité. Le film "L’affaire Collini", sorti récemment en France, en est l’illustration. L’auteur, historien et journaliste, n’est pas tendre envers ses compatriotes, on sent une animosité envers ces petits bourgeois allemands. Mais le livre a été écrit en 2001 : est-il toujours d’actualité ? Voir sur l'auteur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_Willms
CONSEILS DE LECTURE (archive, avant 2016)
Bibliographie sur le site de l'ANEG: anegfrance.free.fr/ENGUER0C.HTM
Aurélie Luneau, Jeanne Guérout, Stefan Martens,