Association Franco-Allemande de La Rochelle

CERCLE LITTERAIRE de l'AFA - La Rochelle,

depuis janvier 2022

SAISON 2 DU CERCLE LITTERAIRE, 2022-23

ROMANS - NOUVELLES - THEATRE - HUMOUR - POLARS, THRILLERS - TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES - POÉSIE - ESSAIS - BD, ROMANS GRAPHIQUES

 

ROMANS

 

Fatma AYDEMIR, Dschinns, Hanser Verlag 2022. Trad. frse par Olivier Mannoni, Fantômes, Mercure de de France 2024.  Second roman d'une jeune écrivaine kurde-turque, finaliste Deutscher Buchpreis 2022. Il dresse le portrait de la famille Yilmaz, famille kurde immigrée de Turquie en Allemagne dans les années 70, sur 3 générations. Famille  qui vit dans le silence, les non-dits et les faux semblants, perdue entre deux pays, discriminée partout, comme kurde en Turquie et comme « Scheisskanaken « (métèques de merde) en Allemagne, nulle part à sa place. En 6 chapitres construits comme un puzzle. on découvre un membre après l’autre de la famille. À la fin toutes les pièces peuvent être assemblées. Dans les cultures islamiques, les djinns sont craints comme menaces du mal, on évite de les nommer ou d’en parler. Le djinn, c’est le vague, l’incertitude, l’obscur qui fait peur parce qu’on doit le remplir de ses propres fantasmes. Les djinns de la famille Yilmaz, c’est la vérité que tout le monde a toujours essayé de cacher. Roman qui pose un regard très critique sur la situation des familles immigrées en Allemagne, notamment le racisme ambiant avec lequel elles sont confrontées au quotidien, quand les foyers d’immigrés brûlent. Roman fort, très bien écrit, d'une écrivaine prometteuse.   https://www.mercuredefrance.fr/fantomes/9782715261808

 

Hugo BETTAUER, La ville sans Juifs. Un roman d’après-demain (vs. orig. Die Stadt ohne Juden, ein Roman von übermorgen, 1922). Belfond 2017, 186 p.   Dans cette uchronie prémonitoire, Hugo Bettauer imagine que l’Autriche, en pleine crise économique et sociale, décide d’expulser tous ses habitants juifs. Non pas qu’ils soient responsables des difficultés du pays, mais ils sont trop intelligents et dominent les Autrichiens. Se pose alors la question : qu’est ce qu’un juif ?  Dans la seconde partie du roman, l’auteur donne la parole à toutes sortes de personnes, chacune représentant une branche de la société. On peut y découvrir des conséquences, parfois drôles, de la disparition d’une partie, au final essentielle, de la population. Le pays s’enfonce dans les difficultés et sombre dans un grand marasme, jusqu’à regretter ses habitants juifs. Mais ceux-ci, bien organisés dans d’autres lieux du monde, auront-ils envie de revenir ?  Hugo Bettauer, journaliste et écrivain autrichien né en 1872, fut assassiné en 1925 par un partisan nazi suite à la parution d’une gazette semi-érotique qui valut à son éditeur d'être qualifié de « cochon de juif ».  

 

Kim de l’HORIZON, Blutbuch. DuMont Buchverlag, Köln (2022). (Prix littéraire de la fondation Jürgen Ponto 2022. Prix du livre allemand 2022. Prix suisse du livre 2022). Trad. frse 2023, Hêtre rouge, par Rose Labourie, Juillard, 432 p. Nommé pour le prix Médicis 2023.  Ce roman incarne, dans un mouvement poétique et onirique, la recherche d'identité à travers les générations de la figure narrative, jeune non-binaire, qui a grandi dans les montagnes bernoises et vit à Zurich. Sa voix s’adresse à sa grand-mère qui perd la mémoire. Rompant avec la culture familiale des non-dits, iel évoque la genèse de sa non-binarité et de son identité plurielle, fouillant son histoire familiale avec ses secrets et traumatismes dans une société montagnarde apparemment figée. Tout au long de son récit, la voix narratrice, mêlant allemand standard, suisse allemand, anglais, traces de français, invente le langage le plus approprié pour rebâtir son histoire, sa filiation imaginaire, son identité de genre fluide, recourant notamment à des néologismes tels que jemensch pour jemand ou niemensch pour niemand. Roman foisonnant, imaginatif, sensible, exigeant, qui relie les pouvoirs occultes des femmes dans les sociétés rurales d'hier et le plus brûlant aujourd'hui.  Voir aussi : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Kim_de_l%27Horizon

 

Alfred DÖBLIN (1878-1957), Berlin Alexanderplatz, Gallimard 2009, nouv. trad. Olivier Le Lay (Berlin Alexanderplatz, die Geschichte vom Franz Biberkopf, Fischer Vlg Berlin 1929, prem. trad. frse Gallimard 1933).  L'errance de Franz Biberkopf, qui sort de 4 ans de prison, dans le Berlin de la fin des années 20, une ville en pleine transformation. Les tentatives marxistes et la révolution de Spartacus ne sont pas loin, les chemises brunes et les brassards noirs commencent à circuler. Une ville qui grouille de mutilés de guerre et de chômeurs du fait de la débâcle économique allemande. Franz fait tous les petits boulots pour croûter, il déambule dans les bas fonds de Berlin, côtoie la pègre et le peuple des filles des rues, s'associe à une bande de malfaiteurs pour des coups foireux. On baigne dans un univers expressionniste (cinéma et peinture). Une écriture hâchée à la mitraillette pour décrire la folie et l'inhumanité des grandes villes. Et comme épilogue, un long dialogue avec la mort. Un livre dur et noir, y a-t-il une lueur d'espoir pour Franz Biberkopf ?

 

Catalin Dorian FLORESCU, Le turbulent destin de Jacob Obertin. Paris, Seuil, 2013.  (vs orig. Jacob beschliesst zu lieben, 2011)  Jacob Obertin est un perdant pathétique, tous les épisodes de sa turbulente existence en apportent la confirmation. Né dans le Banat (Roumanie actuelle) en 1926 dans une charrette de fumier, il est de constitution chétive, ce qui amène son père à le déshériter au bénéfice d’un bâtard plus apte à reprendre la propriété. Au moment de la guerre et de l’invasion allemande, il tente de tirer son épingle du jeu, assimilé qu’il est aux Souabes germanophones de la région. A l’arrivée des Russes, il est déporté, en principe pour la Sibérie, mais s’échappe du train et atterrit chez un pope roumain pour qui il trie des os humains. Il réussit à revenir dans son village et participe au projet des descendants de Lorrains de prendre le chemin de la Lorraine. Mais à nouveau trahi par son père, il est déporté dans l’Est de la Roumanie… Roman d’aventures et roman d’éducation à la fois, à travers cette Europe centrale secouée par les guerres mondiales.  

 

Christoph HEIN, Prise de territoire, Éditions Métailié 2006.Trad. fr.Nicole Bary. (Landnahme, Suhrkamp, 2004).  “Bernhard Haber, enfant d'une famille de réfugiés chassée de sa terre natale, ne parvient pas à se sentir chez lui dans la ville où ses parents ont dû se réinstaller. Il a dix ans lorsqu'en 1950 sa famille quitte Breslau (Wroclaw) en Silésie pour une petite ville de Saxe dont les habitants voient d'un très mauvais œil l'afflux de réfugiés et de sinistrés. Certes, on a besoin d'artisans mais l'atelier de son père, le menuisier, brûle. Lui non plus n'a pas la vie facile à l'école, les maîtres veulent le "rééduquer", il est la risée de ses camarades et on abat même son chien. Il jure de se venger. Christoph Hein laisse à cinq personnages, à cinq voix, le soin de raconter 50 années de la vie de Bernhard Haber, des années 50 jusqu'à la fin du XXème siècle. Chacun des narrateurs l'a connu à un moment ou à un autre de sa vie, chacun d'entre eux porte sur lui un regard différent : de l'écolier au militant communiste, puis au passeur de clandestins vers Berlin Ouest jusqu'à l'homme d’affaires prospère” (extrait de la 4e de couverture).   Très bon roman qui décrit la situation des réfugiés de la Silésie considérés comme des étrangers en RDA.

 

Christoph HEIN, Der Tangospieler. Cet auteur est venu à la Rochelle en 1996 à l'invitation de G.Brousseau qui étudiait ce roman avec ses élèves d'Abibac. Le roman raconte l'histoire d'un universitaire, également pianiste, engagé comme remplaçant dans un orchestre d'étudiants qui chantent des chansons critiquant le gouvernement de la RDA (DDR). Ils sont mis en prison, et notre héros, Dallow, en sort après 21 mois d'incarcération. Le livre détaille son après, comment il tente de se reconstruire dans un pays policier totalitaire, sa rencontre avec deux hommes suspects qui veulent l'aider (helfen: je déteste ce verbe) à retrouver du travail. Il essaie de devenir chauffeur de poids lourds, puis garçon de café, sans succès. Heureusement, il peut finalement retourner à son institut.  Une critique acide de l'Allemagne de l'Est des années 80.

 

Yael INOKAI, Ein simpler Eingriff , Hanser Verlag,  Berlin. (roman nommé parmi les 20 de la liste large, Deutscher Buchpreis 2022, non traduit. (Une simplissime intervention). Un roman au style chirurgical et minimaliste, qui inscrit dans nos cerveaux la vie de Meret, jeune infirmière, qui assiste, enthousiaste et soumise, le médecin-chef d´une clinique, qui  pratique des lobotomies, censées guérir les accès de rage ou d´hystérie de ses patientes. Vêtue de son uniforme de travail, elle prend en charge les doutes et les angoisses de ces femmes souffrantes, auxquelles elle consacre sa vie de recluse. Ses seules sorties sont consacrées à sa famille, où elle se soumet, vêtue de sa robe filiale, à l´autorité d´un père tyrannique. C´est Sarah, qui vient partager sa chambre, qui lui instille les premiers doutes sur les interventions psychiatriques auxquelles elle collabore. C´est avec elle aussi qu´elle découvre un amour lesbien libérateur, intense, délirant, entorse à la « norme »…

 

Elfriede JELINEK, Michael, ein Jugendbuch für die Infantilgesellschaft. rororo 1977 (Rowolt 1972). [‘Michael, un livre de jeunesse pour la société infantile’], non traduit en fr.   Une farce au vitriol sur l’exploitation des jeunes apprentis par la grosse entreprise, à travers des histoires qui s’imbriquent : a) des jeunes de familles pauvres, déjà envahis par les valeurs de la télé et de la société de consommation, traités avec violence par l’entreprise qui les (dé)forme ; b) l’héritière de la grosse entreprise, qui s’est amourachée de Michael, un garçon modeste sous l’emprise de sa mère, une intrigante. Elle lui fait épouser l’héritière et Michael est promu ‘Juniorchef’ ; c) les feuilletons télé gobés par ces jeunes, où se côtoient Flipper le dauphin des mers du sud, et des histoires de dynasties montrant que les riches ne sont pas heureux (non plus). Dans chaque chapitre, une apostrophe didactique aux jeunes apprentis pour leur faire rentrer dans la tête le comportement de travailleur soumis qu’on leur inculque précède 3 sous-chapitres narratifs.  La langue est celle des années 70 en rébellion contre la langue allemande statufiée de l’avant-guerre, où les noms n’ont plus de majuscules et seul subsiste comme ponctuation le point. Années 70 : il fallait tout déstructurer !  Narration de style oral désordonné, à multiples voix, où la narratrice apostrophe aussi le lecteur. Un vrai brûlot, très inspiré par le théâtre critique.

 

Abbas KHIDER, Der Erinnerungsfälscher,  Hanser Verlag 2022.  Après sa propre fuite de Bagdad, ce roman de Abbas Khider est l´histoire de la fuite de l´Irakien Said Al-Wahid, son double, persécuté et emprisonné comme opposant au régime. Il y retourne à contrecœur, pour revoir sa mère mourante, et finalement, retourner à Berlin auprès de son fils Ilias et de son épouse Monica. En plus de nombreuses expériences humiliantes et violentes, il doit subir les « tortures bureaucratiques » liées à sa demande de naturalisation. Maîtrisant parfaitement l´allemand écrit, ayant déjà reçu de nombreux prix, il désire être reconnu comme écrivain à part entière, dans cette  langue, devenue son refuge. Autobiographie et récit fictionnel sont indissociablement mêlés, et, loin de prétendre à l´exactitude de ses souvenirs, l´auteur cherche surtout à nous faire partager leur potentiel d´empathie et  leur valeur de vérité humaine.

 

Christiane LIND, L’Héritage du bout du monde, City Edition 2021. (Im Schatten der goldenen Akazie 2016).  Saga familiale d’une spécialiste des sagas, qui renvoie à l’Australie de la fin du 19ème siècle, autour du destin de deux soeurs de tempéraments opposés très attachées l’une à l’autre, vivant sur une plantation de canne à sucre avec leur père. Un père devenu, depuis le décès tragique de sa femme, d’humeur odieuse, surtout envers l’ainée de ses filles qu’il rend coupable de la mort de son épouse mordue par un serpent venimeux.  En Allemagne au 21ème siècle, deux soeurs inséparables vivent ensemble après la mort accidentelle de leurs parents. Suite à une trahison amoureuse de la cadette envers sa soeur, l’ainée part en Australie où vit une parente éloignée. Les deux, la tante et la petite-nièce, engagent alors des recherches pour élucider leurs racines et les secrets familiaux, la rudesse de la vie des immigrés allemands au siècle précédent, mais aussi sur les aborigènes, leur sagesse, dans la nature magnifique du Queensland. Le passé et le présent sont narrés parallèlement et s’entrecroisent. C’est une histoire de haine, d’amour, de désespoir, qui se dénoue petit à petit pour redonner envie d’écrire une nouvelle histoire de la famille, la troisième. 

 

Sharon Dodua OTOO, Adas Raum. S. Fischer, Frankfurt-am-Main 2021, 320 p. (trad. angl. 2023 Adas Realm). Un bel exemple de littérature-monde. Comment une écrivaine et féministe londonienne d’origine ghanéenne s’installe à Berlin, et décide d’écrire en allemand son 3me roman (après avoir reçu le Prix Ingeborg-Bachmann pour sa première œuvre en alld, une nouvelle ironique et magique).  Son personnage est une jeune femme trimballée d’époque en époque par la main de Dieu : une grosse voix en dialecte berlinois, entourée de multiples narrateurs : des êtres incarnés en objets dotés de conscience envoyés par ce dieu fantaisiste pour participer à un moment décisif dans la vie d’une personne (balai, nuage ou petite brise, marteau de porte, lunettes, …). Les pas-encore-nés et les déjà-morts entourent les vivants, le monde bruisse de leurs voix en désordre. Ces êtres assistent toutes les Ada dans ses réincarnations, de la conquête de l’Afrique au 15me siècle, au 19e siècle dans le Londres de Dickens, à un bordel de KZ en 1945, et pour finir à une jeune Ghanéenne envoyée en Allemagne en 2019 pour “aider sa famille” restée au pays, qui avec la demi-sœur berlinoise qu’elle se découvre, cherche un appartement pour accueillir sa vie de future mère. Chaque époque est reliée aux autres par le truchement d’un objet qui passe d’une vie d’Ada à l’autre de main en main : un bracelet de fécondité africain en perles d’or blanc. La structure du roman parcourt alternativement trois mondes sociaux : Die Zahnlosen, die Betrogenen, die Glücklichsten (les sans-dents (vieilles villageoises = die Mütter, déportées au KZ, vieilles Africaines émigrées), les abusé-e-s, les bienheureux = les riches et puissants). A chaque scène, le narrateur-avatar tente de savoir ce qu’il vient faire là, comment contribuer à l’histoire d’Ada, Ada s’interroge sur les secrets qui entourent sa vie et qu’elle ne parvient pas à percer, taiseuse entourée de taiseux; des réminiscences fugaces à des images, des langues, des noms, relient les épisodes : les vies d’Ada. Dans l’épilogue, la jeune accouchée déclare qu’enfin elle sait qui elle est… mais tout reste en suspens. Magnifique et prenant. 

 

Erich Maria REMARQUE (1898-1970), Im Westen nichts Neues, Kiepenheuer & Witsch, 17e éd. 2002. Trad. frse A l'ouest rien de nouveau, par A. Hella et O. Bournac, Le Livre de Poche 197, ca. 1961.  Paru en 1929, ce roman est un grand classique de la littérature allemande, un plaidoyer contre la guerre, pour la paix. Pour cette raison le livre fut interdit par les nazis et brûlé dans les autodafés en Allemagne en 1933.  On suit le quotidien d'un groupe de jeunes soldats allemands sur le front ouest pendant la Première Guerre mondiale, raconté par l'un d'eux, Paul. Le ton est factuel, par moments presque humoristique, comme dans les premières pages où le groupe est très content de recevoir des doubles rations de nourriture, et même du tabac. Mais on apprend la raison de cette apparente générosité - sur les 150 hommes de la 2ème compagnie arrivés 15 jours auparavant, il ne reste que 80 survivants...  La brutalité de la guerre des tranchées, l'absurdité des décisions prises loin du front, la camaraderie entre les soldats, la pénurie de tout en ces dernières années de la guerre, l'aliénation psychologique de toute vie en dehors du conflit, ce livre bouleverse le lecteur, d'autant plus que l'Europe connait à nouveau la guerre sur son sol. Plusieurs fois adapté à l'écran aux Etats-Unis, en 2022 pour la première fois c'est un cinéaste allemand, Edward Berger (1970-), qui le réalise.

 

Joseph ROTH,  La crypte des capucins.  Écrit à la première personne, ce roman met en scène Franz Ferdinand Trotta, cousin des Trotta de La Marche de Radetzky, et passe pour être le livre-testament de son auteur. Trotta, jeune Viennois insouciant d'avant la guerre de 1914, doit partir en guerre et en revient pour découvrir l'écroulement du monde qu'il avait connu. C'est la suite de La marche de Radetsky, grand roman et dernière oeuvre de Joseph Roth parue en 1938 peu avant sa mort. Trad. Blanche Gidon, préface Dominique Fernandez, Points-Seuil, n°196, 1996. Adapté au cinéma en 1971 par Johannes Schaaf sous le titre “Trotta”.  
&
Joseph ROTH, La légende du saint buveur. Longue nouvelle relatant la rencontre d'un clochard alcoolique qui vit sous les ponts de Paris avec un Monsieur qui lui offre 200 francs. Il devra les rendre à la sainte Thérèse dans l'église des Batignolles : restituer cet argent en tant que dette d'honneur. Désireux de respecter sa promesse, l'homme est cependant soumis à la tentation de dilapider cet argent pour s'acheter à boire et renoncer ainsi à sa propre rédemption. J. Roth a écrit cette dernière œuvre avant de mourir à Paris en 1939, désespéré et noyant son désespoir dans l’alcool. 

 

Eugen RUGE, Le Metropol.  Trad. Jacqueline Chambon, éditions Chambon / Actes Sud, 2021, 352 p. (vs orig.  Metropol, Rowohlt 2019).  Roman à la fois familial et historique sur la période des grandes purges staliniennes en 1936-37, par l’auteur de Quand la lumière décline.  L’auteur s’attache à trois personnes ayant réellement vécu dont l’une est sa grand-mère, Charlotte, membre du Komintern qui s’est exilée à Moscou avec son compagnon pour continuer ses activités et échapper aux nazis. Le deuxième personnage est une amie, Lotte, et le troisième le juge Ulrich dont la fonction est de signer les condamnations à mort frappant les communistes indésirables. L’hôtel Metropol constitue une petite colonie qui rassemble des communistes étrangers dont les activités au service de la propagande sont suspendues. Tous attendent qu’on décide sur leur sort, effrayés à l’annonce de la condamnation de l’un d’entre eux, soupçonnant peu à peu leurs congénères, rassemblant leurs souvenirs de militants à la recherche d’une erreur éventuelle, toujours convaincus que l’action du camarade Staline est la meilleure possible. La plupart disparaissent. Charlotte et Wilhelm obtiennent finalement un visa pour l’Ouest. 

 

Peter STAMM,  Agnes, btb-Verlag, Sonderausgabe 2001, © 1998. Éd. fr. Agnès, trad. Nicole Roethel, Christian Bourgois éd. 1998, coll. 'Titres' 81, ISBN 978 2 267 01986 5.  Là où il n´y avait que des solitudes, doit advenir leur histoire. Dès la première ligne du roman, au style factuel, nous apprenons que c´est un échec. C´est la fin de leur histoire d´amour, écrite par le narrateur sous la supervision d´Agnès, qui a poussé celle-ci à disparaître. La vérité des protagonistes, très proche, sans doute, d´une aventure vécue à Chicago, se construit entre ce réel et la fiction d´une histoire dans l´histoire, qui démontre, sans les expliquer, les difficultés à construire une relation vivable et durable, tout en faisant le point sur l´influence que toute lecture ou écriture peut avoir sur nos cerveaux, au point de modifier notre perception du monde, nos sentiments, nos idées, et même nos actes.

 

Peter STAMM, L’un l’autre (titre orig. Weit über das Land, 2016), trad. fr. 2017, eds. Christian Bourgois, collection 'Titres'.  Un couple discute sur la terrasse, tranquillement ; un enfant pleure, sa mère rentre le consoler, son père se lève et s’en va, sans rien dire. Nous suivons alors les trajets des deux parties de ce couple : l’un marche constamment vers le sud, l’autre marche sur place, tentant de sauver les apparences. Parfois ils se croisent, l’ignorant, jamais ils ne se quittent vraiment. Un roman gourmand, suspendu dans les décors magnifique des Alpes suisses. 

 

NOUVELLES

 

Heinrich BÖLL Mein trauriges Gesicht / Mon visage triste, nouvelle qui montre l'absurdité des régimes totalitaires : un homme est arrêté par la police à cause de son visage triste, alors qu'une loi vient d'être promulguée, qui fait obligation d'être heureux ...  Dans : Nouvelles allemandes contemporaines/Deutsche heutige Kurzerzählungen, Pocket Langues pour tous/Univers Poche, 1989, ré-éd. 2013. Choix, introd. et notes par Michel Lemercier. Le titre de ce recueil est un peu trompeur aujourd’hui, car les nouvelles datent toutes du 20ème siècle. Sont présentés des textes de 7 auteurs germanophones, certains connus comme Siegfried Lenz, Max Frisch,  Heinrich Böll, Wolfgang Borchert, Marie-Louise Kaschnitz, d'autres moins, comme Herbert Malecha, Aurelia Bundschuh. Une variété de styles et de thèmes, dont une histoire de fantômes, une rencontre entre un homme et une femme, un récit terrible d'un petit garçon survivant dans un village bombardé ... 

 

Wolfgang BORCHERT, Das Gesamtwerk, (Oeuvres complètes), Rowohlt [1949], 352 p., Hamburg, rééd. 1957 avec postface biographique. WB a été traduit dans de nombreuses langues, dont le japonais. En français, il est resté confidentiel. Quelques nouvelles dans des anthologies des années 60 (avant la numérisation!) + sa pièce de théâtre Draußen vor der Tür / Dehors devant la porte, plusieurs fois mise en scène, c'est tout.  Cette œuvre fulgurante est le fait d'un très jeune homme, apprenti libraire, comédien, auteur de poèmes dès 17 ans, envoyé faire la guerre en 1939 à 18 ans et plusieurs fois emprisonné pour rébellion, rentré du front russe démoli et malade, qui a rédigé l'essentiel de son œuvre dans l'urgence en 2 ans, de 1945 à sa mort à 27 ans. Dans ses nouvelles et sa pièce, WB donne une vision humble et concrète, à ras du sol et des êtres, du drame de l'Allemagne confisquée par le nazisme, qui l'a amputé de sa jeunesse. Dans une langue à la fois quotidienne et poétique, avec une rare économie de moyens, pleine d'émotion et d'indignation, portée par son rythme et ses répétitions en vagues. Jusqu'à son dernier texte, un message d'urgence contre la mécanique de la guerre : Sagt NEIN ! 

 

Bertolt BRECHT (1898-1956), Nouvelles/Kurzgeschichten, Pocket Bilingue Langues pour Tous, trad. fr. Danielle Laquay-Meudal, 1989, nlle édition 2015. Cinq nouvelles, écrites entre 1919 et 1940, Ein gemeiner Kerl/Un sale type (1919) ; Der Lebenslauf des Boxers Samson-Körner/Curriculum du boxeur Samson-Körner (1925) ; Nordseekrabben/Les Crevettes de la mer du Nord (1927) ; Die unwürdige Greisin/La Vieille Dame indigne (1939) ; Der Augsberger Kreidekreis/Le Cercle de craie d'Augsbourg (1940).  La première nouvelle (Ein gemeiner Kerl) raconte l'histoire d'un homme qui poursuit une femme croisée dans la rue, s'immisce chez elle et s'y installe, pour profiter non seulement de son lit mais aussi se faire entretenir. Brecht a écrit cette histoire quand il n'avait que 21 ans, pour 'choquer la bourgeoisie' pudibonde de l'époque. Plus de 100 ans plus tard, le lecteur et peut-être surtout la lectrice est toujours choqué(e), mais non pas par l'immoralité. Ce qui peut choquer de nos jours, surtout depuis les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, c'est la soumission totale (enfin presque ! car le vent tourne ....) de cette femme à la volonté de cet homme. On connait Brecht surtout pour ses pièces de théâtre, la traductrice nous invite à découvrir dans ces textes presque toute son œuvre - chacune des nouvelles peut se lire comme l’esquisse d'une de ses pièces célèbres. La série 'Pocket Bilingue Langues pour Tous' nous propose, en plus de la présentation page de gauche, texte allemand, page de droite, traduction française, des notes explicatives en bas de page, souvent très utiles, de vocabulaire, grammaire et rappels historiques.

 

Friedrich DÜRRENMATT, La panne. Une histoire encore possible. (Die Panne. Eine noch mögliche Geschichte). Trad. fr. Armel Guerne. Livre de poche.  L’auteur suisse F D (1921-1990) est célèbre mondialement pour ses pièces de théâtre La visite de la vieille dame et Les Physiciens. La nouvelle La Panne a été adaptée par l’auteur lui-même pour le théâtre. Lieu : la demeure d’un juge à la retraite dans un village au cœur de la Suisse. Temps : une soirée et une nuit. Personnages : trois juristes à la retraite (un juge, un procureur et un avocat), un bourreau, et Alfredo Traps, voyageur de commerce tombé en panne. Sans oublier la cuisinière qui fournit force mets succulents et boissons alcoolisées. Action : la mise en accusation par les vieux magistrats de Traps, soupçonné d’avoir provoqué la mort de son rival en affaires dont il avait séduit l’épouse. L’accusé prend d’abord le grief à la légère puis, l’alcool aidant, il en revendique la responsabilité, finalement fier d’être l’auteur d’un acte exceptionnel. Alors que les vieillards totalement ivres viennent lui apporter le verdict : la peine de mort, ils le trouvent pendu dans sa chambre.

 

German Short Stories 1 / Deutsche Kurzgeschichten 1, Penguin Parallel Text, 1964, choix, introd. et notes R. Newnham. Recueil de 8 nouvelles de la Nachkriegsgeneration, toutes parues en RFA, en version bilingue all.-angl. en vis-à-vis. Heinrich BÖLL et Hans BENDER racontent la solitude d'individus de retour après la guerre dans des villes méconnaissables; Gerd GAISER et Gertrud FUSSENEGGER dépeignent des personnes aux prises avec leurs obsessions hétéroclites: vitesse excessive en voiture, ou 'collectionnite' de nains de jardin ; Wolfdietrich SCHNURRE et Reinhard LETTAU sont satiristes ; Wolfgang BORCHERT et Ilse AICHINGER expérimentent la forme poétique et le langage dans les explorations de la souffrance de l'individu. 


Reinhard LETTAU, Beim vorbeifahren der Potemkinschen Kutsche / When Potemkin's coach went by (en fr., Au passage du carosse Potemkine).  Au 18me siècle, quelque part en Nouvelle-Russie (aujourd'hui Ukraine...), une équipe est chargée par le prince Potemkine de construire un faux village de façades peintes, pour impressionner la Tsarine Catherine II lors de sa visite. Mais petit à petit le faux village devient réel, les fenêtres peintes sont remplacées par des vraies, de la vraie fumée sort des cheminées fraîchement peintes... Le chef d'équipe évoque son cauchemar: Potemkine va voir un vrai village et lui demander où se trouve donc le faux, et ce qu'il a fait de l'argent et des matériaux.  Un ouvrier vient annoncer au chef qu'il a été désigné maire du village...  Dans German Short Stories 1 / Deutsche Kurzgeschichten 1, Penguin Parallel Text, 1964, choix, introd. et notes R. Newnham. Recueil de 8 histoires courtes de la Nachkriegsgeneration, toutes parues en RFA, en version bilingue all.-angl. en vis-à-vis. 

 

Robert MENASSE, Ich kann jeder sagen: Erzählungen vom Ende der Nachkriegsordnung. Suhrkamp 2009, 14 nouvelles. (Trad. fr. Chacun peut dire Je. Nouvelles de la fin de l’après-guerre. eds Jacqueline Chambon 2011).  Le romancier viennois Robert Menasse livre ici un ensemble de brefs récits, tous en JE au masculin,  où chaque narrateur est amené à faire ressurgir en confidence ce qu’il faisait lors d’un événement historique (l’assassinat de JF Kennedy, les attentats révolutionnaires des années 70, la chute du Mur…). Le dérisoire du quotidien, les éternels retours entre les générations, et les incertitudes de la mémoire leur font contrepoint avec humour et cocasserie. Le lecteur est mené par le bout du nez et constamment surpris, à travers un bouquet varié de solutions narratives virtuoses, retours en arrière et tressage des voix notamment. Histoires à déguster une par une, et à relire pour mieux comprendre par où l’auteur nous a fait passer… 

 

Eduard MÖRIKE, Le voyage de Mozart à Prague, trad. fr. Raymond Dhaleine, Editions Sillage (2020). (Mozart auf der Reise nach Prag, 1855). Mozart se rend à Prague avec son épouse Constance, en 1787, pour y présenter la première de son opéra Don Juan. En chemin dans leur carrosse orange, ils font une halte dans le château d’aristocrates qui vont marier l’une de leurs filles. On perçoit très vite le caractère à la fois rêveur et joyeux de Mozart, qui trouve un accueil admiratif auprès de cette famille, à laquelle il conte de nombreuses aventures ainsi que la genèse de l’opéra Don Juan. Le texte, léger, musical, s’achève néanmoins par une note sombre qui évoque la brièveté de la vie de ce génie.

https://editions-sillage.fr/?p=3128 
https://de.wikipedia.org/wiki/Mozart_auf_der_Reise_nach_Prag 

 

Ferdinand von SCHIRACH, Sanction. Trad. Rose Labourie, Gallimard 2020 (Strafe, 2018). 12 nouvelles acides et cyniques, écrites dans un style journalistique précis et assez froid ; chacune d’elles serait un roman policier à part entière, saisissant quelques incohérences de la justice. L’auteur ne prend jamais parti, et la conclusion s’avère souvent surprenante. Une gourmandise...

 

Ferdinand von SCHIRACH, Verbrechen, BTB 2020, 206 p. (Piper 2009). [en  fr. Crimes, Gallimard 2011, trad. Pierre Malherbet, folio 2012]  Récit de 11 affaires criminelles réelles, vues et vécues par l´avocat de la défense, F. von Schirach. Chaque mot frappe juste dans ces reconstitutions auxquelles nous participons en spectateurs sceptiques.  Couper sa femme en morceaux, manger littéralement l´être aimé, supprimer une souffrance en noyant un  proche, commettre un crime, sans être un criminel ? F. von Schirach pose avec brutalité le problème de  la culpabilité, en nous plongeant dans le secret des êtres qui peuvent paraître les plus cruels, alors que ce sont les plus sensibles, consternés par nos incompréhensions et nos indifférences. Il nous fait accepter les inacceptables mansuétudes des tribunaux. Pouvons-nous être absolument sûrs de ne jamais commettre de tels actes, face à l´histoire, face à nos troublantes inconséquences ? 

 

Bernhard SCHLINK, Der Andere/L'autre, Folio Bilingue, Gallimard 2006. (Diogenes, Zurich, 2000). Trad. fr. B. Lortholary et R. Simon, Gallimard 2001. Nouvelle extraite du recueil Liebesfluchten/Amours en Fuite.  Un homme retraité, Bengt, vient de perdre sa femme Lisa d'un cancer.  Un jour arrive une lettre pour elle, d'un certain Rolf, qui de toute évidence a été son amant. D'abord seulement étonné, Bengt se sent trompé et volé, il s'interroge sur la réalité de leur couple, qu'il a cru d'une intimité exclusive. Dans le secrétaire de sa femme, il trouve d'autres lettres de Rolf, des photos des deux amants souriants ... il décide d'aller à la recherche de "l'autre".  Mais l'autre n'est pas du tout comme dans son imagination ...  Ecrit d'un style sobre et précis, cette histoire, a priori sur le mensonge et la trahison, se révèle émouvante dans son portrait de la découverte par Bengt des autres, mais aussi de lui-même. Adapté à l'écran par Richard Eyre en 2008, avec le titre 'The Other Man', avec Liam Neeson et Antonio Banderas.

 

Arthur SCHNITZLER, Mademoiselle Else (vs. orig. Fräulein Else,1924) Stock, 'La Cosmopolite' 1980, trad. Dominique Auclères,117 p.  L’auteur nous fait entendre le monologue intérieur de la jeune Else, 19 ans, fille de famille bourgeoise viennoise, en villégiature solitaire dans une station des Alpes. Schnitzler, dans un style léger, ironique et plaisantin, nous raconte une histoire cruelle et dévastatrice pour l’héroïne. Ce texte brillant et original nous entraine dans le tourbillon des pensées souvent contradictoires de la jeune fille. En fait il s’agit ici de la dénonciation du crime qu’est  l’utilisation du corps d’une femme par sa famille et la société qui le considèrent comme un "bien« : la dénonciation d’une prostitution forcée. Ici les parents "vendent" en effet leur fille, ce qui aboutit à une scène stupéfiante, et à une conséquence catastrophique pour Else. Ce texte se prête parfaitement à une interprétation théâtrale par une actrice seule en scène. Il a été et est toujours souvent à l’affiche.

 

SCHNITZLER Arthur, "Le sous-lieutenant Gustel". ("Leutnant Gustl"). Dans : Romans et nouvelles, tome I (1885-1908), La Pochothèque 1994. [+ Romans et nouvelles II (1909-1931)]. https://www.livredepoche.com/livre/romans-et-nouvelles-tome-1-9782253063148  
Comme son père, Schnitzler devient médecin ORL et s’intéresse de près à la psychanalyse. Le récit Leutnant Gustl correspond de par son volume et son contenu à la définition du genre Novelle et inaugure une technique narrative spécifique, le monologue intérieur. Comme dans la plupart des œuvres, on y trouve une critique sociale particulièrement vigoureuse, la cible est ici l’armée autrichienne et ses préjugés, sa conception de l’honneur, son mépris pour les civils. Gustl, qui a rendez-vous le lendemain pour un duel, assiste à un concert où il s’ennuie à mourir ; à la sortie, au vestiaire, il bouscule les gens et est remis vertement à sa place par un boulanger, qui le traite de « Dummer Bub » et pose la main sur son épée, ce qui pour un militaire est une insulte. Même si la scène s’est déroulée discrètement, Gustl est humilié et ne voit pas d’autre porte de sortie que la fuite en Amérique ou le suicide. Il passe la nuit sur un banc, et avant de passer à l’acte, il décide d’entrer dans son café habituel, où le patron lui apprend la mort du boulanger, ce qui lui redonne la joie de vivre. 

 

Anna SEGHERS (1900-1983), L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus. Eds Ombres, « Petite bibliothèque Ombres », trad. Joël Lefebvre 1993, 55 p. (Der Ausflug der toten Mädchen, New York 1946). Longue nouvelle écrite au Mexique en 1943, pays auprès duquel son autrice, d'origine juive, avait trouvé refuge.  Ce texte éclaire le destin funeste de 15 jeunes filles allemandes, compagnes d’Anna Seghers au lycée, et celui de quelques-uns de leurs amis ou professeurs, qui toutes et tous disparaitront durant la 2nde guerre mondiale : déportations, suicides, bombardements, tortures…  Le récit est doux, vécu comme un rêve qui oscille entre la période de  l’excursion, joyeuse, animée, pleine d’amitiés, et le devenir imprévisible de chacune de ces jeunes filles dans la période 1933-1945 ; il est en même temps terrible, car souvent rien ou presque, de leur adolescence, ne permettait de prévoir les haines et les malheurs liés au régime nazi qu'elles allaient endurer. 

 

Franz WERFEL (1890-1945), Une écriture bleu pâle, Editions Stock, 'La cosmopolite', 150 p. Traduction Robert Dumont.  (Eine blassblaue Frauenschrift, 1941).  Franz Werfel, d’origine pragoise, ami de Kafka, auteur de nombreux romans, nouvelles, poèmes, est à mettre au rang des grands écrivains viennois du début du 20ème siècle au même titre que Stefan Zweig, Musil, Broch... Il s’attache à décrire, dans cette longue nouvelle ou bref roman (Novelle à l’allemande) une journée de 1936 dans la vie de Leonidas, haut fonctionnaire d’origine modeste qui a épousé une femme de la haute aristocratie. Cette journée est bouleversée dès le petit déjeuner par l’arrivée d’une lettre d’une ancienne maîtresse, Vera Wormser, juive de Francfort, qui lui demande son soutien pour un jeune homme qu’il suppose dans un premier temps être son propre fils. Aiguillonné par une forte poussée de compassion et de culpabilité, il est prêt à aller à l’encontre des principes qui ont assuré sa réussite, à confesser son aventure à sa femme et à appuyer un scientifique juif pour un poste important. Il apprend en fin de compte que le jeune homme n’est pas son fils et, assistant le soir à une représentation à l’opéra, il décide de revenir à son existence et à ses positions d’avant.

 

Stefan ZWEIG, ‘Amok ou le fou de Malaisie’, dans : La confusion des sentiments et autres récits, coll. « Bouquins », Robert Laffont, Paris, 2013, 1312 p.  Nouvelles traductions de 35 nouvelles de Stefan Zweig, romancier et nouvelliste autrichien majeur du XXème siècle, mort au Brésil en 1942 à Petropolis. (version originale “Amok, oder der Amokläufer”, 1922. ‘Amok laufen’ se dit de quelqu’un qui est devenu subitement fou meutrier). Le narrateur, passager d’un paquebot en provenance de Calcutta, se voit confier par un autre passager, médecin, une histoire extraordinaire. Le récit se situe dans une colonie néerlandaise, dans une zone marécageuse, où la brutalité de la mentalité coloniale est omniprésente, et d’une noirceur sans nom. Le médecin tombe amoureux fou d’une femme, qui lui demande de la faire avorter. Il refuse, elle part, il la cherche, la trouve à un bal, et le lendemain la retrouve agonisante. Elle meurt, son cercueil est embarqué sur le paquebot. Le médecin se jette à la mer avec le corps qui sombre au débarquement.  On reste sans voix à ce récit, le style est fort, très impressionnant.  Un grand  moment de  littérature.    https://fr.wikipedia.org/wiki/Amok_ou_le_Fou_de_Malaisie  

 

Stefan ZWEIG, "Vingt quatre heures de la vie d’une femme" ("Vierundzwanzig Stunden aus dem Leben einer Frau"), nouvelle extraite du recueil La confusion des sentiments, Trad. Françoise Wuilmart 2021, Pavillons Poche (Robert Laffont), préface d'Eric-Emmanuel Schmitt. Une jeune femme provoque un scandale en disparaissant subitement avec un jeune inconnu et en laissant mari et enfants ; seuls le narrateur et une vieille Anglaise prennent sa défense. Oui il est possible qu’une femme de la bonne société vive une passion amoureuse imprévisible, ainsi que va le narrer la dame anglaise, qui elle-même. … Commence alors une seconde histoire : l’héroïne veut sauver par amour un très beau jeune homme, qui n’a de cesse de retourner à sa propre passion : le jeu et la fascination de la roulette. Nouvelle toute en finesse, qui dissèque les sentiments des unes et des autres et qui nous offre quelques pages d’excellence sur le jeu des mains fébriles sur le tapis vert du casino.

 

Stefan ZWEIG, Voyage vers le passé, Livre de poche 2010 (Reise in die Vergangenheit.)  https://www.hachette.fr/livre/le-voyage-dans-le-passe-9782253133148  

 

THÉÂTRE

 

Franz Theodor CSOKOR,  3. November 1918, 1936. Rééd. Ephelant Verlag, Wien 1993. (Pour rappel, le 3 novembre 1918 est le jour de l'armistice pour l'Autriche). La pièce - l’œuvre la plus connue de Csokor - est emblématique de l'éclatement de l'Empire austro-hongrois. Elle a été jouée avec succès en mars 1937 au Burgtheater à Vienne.  Dans une maison de convalescence militaire à la frontière entre la Slovénie et la Carynthie sont bloqués par la neige 9 militaires de l’empire austro-hongrois, une infirmière et un médecin : un Polonais, un Slovène, un Italien, un Tchèque, un Hongrois, et trois Autrichiens, dont le médecin juif. Sans nouvelles du monde, ils se distraient par des beuveries et des querelles. Le déserteur Kacziuk surgit et leur apprend que la flotte impériale a été remise aux Serbes. Kacziuk est marxiste et prône ouvertement ses idées. Chacun veut aussitôt retourner dans sa patrie. Le colonel Radosin, lui, croit toujours en l’empire et essaie en vain de rassembler sa petite troupe dans cette foi, puis se suicide. Après son enterrement, on débat une dernière fois de l’empire et de sa dissolution, puis tous se séparent. Seuls restent Ludoltz, l’Autrichien de Carynthie, et Zierowitz, le Slovène, pour un combat à mort sur cette terre que chacun d’eux revendique. Christina l’infirmière, qui était partie 2 jours avant, revient, porteuse de la nouvelle de la paix. Elle a peine à croire que tous soient partis vers leur patrie et que le colonel soit mort. Ludoltz rêve quelques minutes auprès d’elle du bonheur qu’ils auraient pu vivre ensemble. A minuit son combat avec Zierowitz commence.

 

Max FRISCH, Blaubart. théâtre à lire. (Barbe bleue). Suhrkamp ISBN 3-518-02844-8 – 1982.  C'est la dernière œuvre littéraire de Max Frisch, dans laquelle il reprend son thème favori : la difficulté des relations humaines, dans le couple notamment. Ne pas figer autrui, l´être aimé surtout, dans une image qui le prive de sa complexité, de sa liberté. Le docteur Felix Schaad est accusé du meurtre d´une de ses dernières épouses, qui s´adonne à la prostitution, et avec laquelle il a conservé de très bonnes relations, libéré de sa jalousie idéaliste. Il vit son procès, auquel il se sent étranger, à travers des monologues intérieurs, qui le torturent.  61 témoignages-images, influencés par une présomption de culpabilité, l´empêchent d´assumer son innocence, qui ne peut jamais être totale, même s´il s´avère être victime plutôt que bourreau, trompé ou frustré par ses épouses successives. Un « me too » nuancé, à la décharge des hommes non-violents mais conditionnés, autant que les femmes, par des siècles de rôles attribués par les traditions, notamment religieuses.

 

Elfriede JELINEK, Winterreise, ein Theaterspiel. Rowohlt 2011. Trad. frse Winterreise, une pièce de théâtre, Seuil 2012. Neuf  longs monologues, dont un sur l’affaire Natascha Kampusch.  Lus avec fascination pour le travail clinique sur la langue et l’analyse sans pitié de la bêtise au front de taureau = du populisme, du refus de voir, et de la centration pleine de bonne conscience sur soi-même, sa famille et sa maison. Puis cherché la version française pour voir comment c’est même possible de rendre ce travail en fr. - et quel effet ça fait en fr. Le texte est inspiré du cycle de Lieder de Schubert (sur des poèmes de Wilhelm Müller) Winterreise. Il faudrait y revenir, analyser chacun des 8 chapitres - et explorer les chemins de l’inspiration prise dans les 24 Lieder de Schubert, musique, et paroles, pour parler d'aujourd'hui … (ce qui sera fait en 2023...)

 

Peter WEISS, Die Ermittlung, Suhrkamp, Frankfurt-am-Main 1965. (Trad.fr. L’Instruction, L’Arche 2000.)  En 1964, le dramaturge allemand d’origine juive suit attentivement un procès qui se déroule à Francfort. Il s’agit du « procès d’Auschwitz » durant lequel plusieurs responsables du camp d’extermination doivent répondre de leurs faits et gestes. A partir de ses notes, l’auteur crée une œuvre théâtrale unique, un oratorio en onze chants, dont la justesse et l’intelligence sont bouleversantes. Construite en onze tableaux, cette pièce de théâtre fait entrer le lecteur de manière progressive dans l’univers concentrationnaire. La contradiction permanente entre la fuite, voire le cynisme, de certains accusés et la dignité des témoins rappelle, combien l’appareil judiciaire est un élément central de toute société se voulant moderne. Cette œuvre porte un témoignage collectif unique : elle  réussit à la fois à transmettre et à émouvoir, sans jamais tomber dans la sensiblerie. C’est une œuvre nécessaire : elle devait être écrite et elle doit être lue.

 

Carl ZUCKMAYER, Der Hauptmann von Köpenick, Fischer Verlag 1999 (théâtre, 1931).  En 1906, Wilhelm Voigt, un cordonnier de Prusse-Orientale qui avait fait plusieurs fois de la prison, loua un uniforme de capitaine prussien, enrôla un groupe de soldats et occupa l'Hôtel de ville de Köpenick, bourgade des environs de Berlin : il arrêta le maire, se fit remettre la caisse de l'hôtel de ville. Arrêté et condamné à 4 ans de prison, il n'en fit pas la moitié, gracié par l'empereur Guillaume II. L'affaire provoqua en Allemagne un formidable éclat de rire et assura la notoriété du personnage jusqu'à sa mort en 1922. La pièce de Carl Zuckmayer a rencontré un grand succès en 1931 et le sujet a fait l'objet de nombreux films.  Zuckmayer met l'accent sur ce que vit Voigt avant d'en venir à revêtir un uniforme de capitaine : cherchant à se réinsérer dans la société allemande à sa sortie de prison, il est confronté à la bureaucratie prussienne qui rend cette réinsertion impossible, alors qu'il peut constater le prestige et le pouvoir des militaires auxquels tout est dû. Le ton est satirique, grinçant, la pièce est une véritable critique de la société wilhelminienne. 

 

HUMOUR

 

Ben SCHOTT,  Schottenfreude. German words for the human condition. London: John Murray 2013. 120 entrées en écriture gothique, typographie variée, bel objet relié toile format italien. (trad. fr. Il y a un mot pour tout. Editions du Sous-sol, 2016,  trad. fr. D. Orhan).  Un petit dictionnaire loufoque où l’auteur - un Britannique (!) - invente les mots allemands dont nous avons besoin pour exprimer, par exemple, cette satisfaction que l’on ressent à cocher ce qui est fait sur sa liste ‘à faire’.  La langue allemande a un mot pour cela, d’après Ben Schott : Entlistungsfreude.  Ou cette sensation, que nous avons tous connue, assis dans un train à l’arrêt, d’être en mouvement, alors que ce n’est que le train sur les rails d’à côté qui passe. Schott suggère : Eisenbahnscheinbewegung).  Une ode réjouissante aux ‘mots justes’  que la langue allemande peut multiplier à l’infini ! 

 

Wladimir KAMINER, Der verlorene Sommer, Deutschland raucht auf dem Balkon, 2021, München, Goldmann Verlag (non traduit).  Du côté des auteurs "venus d'ailleurs" ayant adopté la langue allemande, le journaliste et écrivain berlinois d´origine russe et juive Wladimir Kaminer, qui a connu la vie en Russie, en RDA, et réside aujourd´hui à Berlin, nous offre, après Russendisko, avec son « Été perdu » (Der verlorene Sommer), paru en 2021 aux éditions Goldmann, une lecture roborative et jouissive. Dans ces chroniques, sa malice iconoclaste, mais toujours bienveillante, témoigne d´une fine connaissance de son pays natal, des Allemands de l´Est et de l´Ouest, et de la nature humaine en général. Nous nous reconnaissons dans les portraits caustiques de toutes ces victimes du Covid qui ont perdu, comme lui-même, sans retour, du temps, du plaisir de vivre, et même un peu d´humanité, de sociabilité et d´intelligence. En rire nous rend plus résilients.

 

TEMOIGNAGES, AUTOBIOGRAPHIES, BIOGRAPHIES, ETUDES HISTORIQUES

 

Manfred FLÜGGE, Le bleu des anges. Spécialiste de Heinrich Mann, Manfred Flügge est venu en 2014 à la Rochelle nous présenter son livre sur Heinrich Mann, Le Bleu des anges, qui fait référence au célèbre film “L’ange bleu" avec Marlène Dietrich, tiré du roman Professeur Unrat, de Heinrich Mann. Ecrit en français, il est publié chez Grasset. Il narre la biographie de Heinrich Mann, émigré en 1933, ses démêlés avec son célèbre frère Thomas, sa vie avec sa femme, ses problèmes d'argent et sa fin de vie aux Etats Unis.  https://www.grasset.fr/auteurs/manfred-flugge  

 

Franz KAFKA, Brief an den Vater. (Lettre au père). rééd. folio Gallimard 2€, trad. de l'allemand Marthe Robert. Texte posthume. Long réquisitoire de Kafka contre son père, dominateur et culpabilisateur. Impossible d'en faire une analyse critique sauf à faire la psychanalyse d'une lettre qui en est déjà une. Citations : "Je suis le résultat de ton éducation et de mon obéissance. (...)  Tu me menaçais d'un échec, ton opinion était si grande, l'échec était inéluctable. (...) Je pouvais jouir de ce que tu me donnais, mais seulement dans la limite de ma culpabilité. (...)  La peur que tu m'inspires me rend muet. Je t'ai fui pour me réfugier dans mon monde." ...  Ecrire une lettre à l'autre est une thérapie bien connue pour couper le cordon et faire le deuil de la relation. Mais Kafka n'a pas été au bout de la thérapie, la lettre n'a pas été remise au père ni déchirée ni brûlée. Jusqu'au bout le père a maintenu son emprise sur son fils. Si vous avez eu une enfance heureuse avec votre père, ne lisez pas ce livre, vous trouveriez mille raisons de lui en vouloir. Si vous avez des griefs à son encontre, ne le lisez pas non plus, vous découvririez des raisons que vous n'aviez même pas soupçonnées.

 

Viktor KLEMPERER (1881-1963), Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten. Tagebücher 1933-1945, eine Auswahl, Aufbau Taschenbuch Vlg 1996, 361 pp.   (Éd. frse 2000, Seuil, 2 vol. Mes soldats de papier, journal 1933-1941 et Je veux témoigner jusqu'au bout,1942-1945.)  Si les récits de la vie quotidienne des Allemands sous le Troisième Reich ne manquent pas, plus rares sont les témoignages qui nous sont parvenus de ceux que le régime a persécutés mais qui ont réussi à y survivre. Aussi celui de Viktor Klemperer, qui a tenu quasi quotidiennement son journal entre 1933 et 1945, est-il un document particulièrement précieux et édifiant. Universitaire, spécialiste de la littérature française du XVIIème siècle, fils de rabbin mais s'étant converti au protestantisme, Viktor Klemperer a été, dés l'avénement du IIIème Reich, interdit d'enseigner ; à la différence de son illustre cousin, Otto, il n'a pu choisir l'exil mais, se sentant profondément allemand, il a voulu décrire les étapes de sa « mort civile » provoquée par les multiples brimades et interdictions auxquelles lui et sa femme furent soumis. Tenir un journal dans ces conditions était pour lui un combat spirituel contre la barbarie, lui permettait de survivre intellectuellement, mais représentait un risque considérable pour sa vie et celle de ses proches. D'ailleurs il n'a échappé que miraculeusement à la déportation et donc à une mort certaine, ayant pu quitter Dresde, avant d'être arrété, juste avant le terrible bombardement de février 1945. Lire ces carnets nous permet de vivre au quotidien les effets de l'impitoyable entreprise nazie d'éradication de la population juive. C'est un témoignage indispensable.

 

Maxim LEO, Histoire d’un Allemand de l’est, Actes Sud 2010 (Haltet euer Herz bereit. Eine ostdeutsche Familiengeschichte, 2009). Prix du livre européen.  Maxim Leo, né en 1970 à Berlin-Est, est journaliste, scénariste et écrivain. Ce livre retrace près d´un siècle d´histoire de l´Allemagne à travers la vie de sa famille, et cherche à éclairer les destins de ses deux grands-pères, de la montée du nazisme à la seconde guerre mondiale. L´un, Gerhard, juif et exilé avec ses parents en France en 1933, entrera dans la Résistance. L’autre, Werner, resté en Allemagne, profite de la croissance économique puis est envoyé faire la guerre en France, où, fait prisonnier, il reste jusqu’en 1948. Après la guerre, les deux grands pères avec leurs parcours différents ont participé activement à la construction de la RDA (DDR). Membres de la SED, tous les deux ont défendu la politique du parti, même après la chute du mur. La deuxième génération, celle des parents de Maxim, ce sont des enfants de la RDA. Une fois le mur érigé, leur vie est partagée entre espoir, optimisme et déception. Les disputes politiques entre ses parents ont marqué l´enfance de Maxim. Lui n’a eu de problèmes avec le régime que dans les trois dernières années, lorsqu’il participe aux mouvements  contestataires. Récit passionnant des déchirements d´une famille face au nazisme puis au régime communiste.

 

Verena MAYER & Roland KOBERG, Elfriede Jelinek, un portrait, Seuil 2009 (Rowohlt 2006). Sorti l’année suivant son prix Nobel, mais écrit avant. Biographie axée sur son travail d’écrivaine, la réception de ses livres, ses réseaux de collaboration pour le théâtre etc., l’écriture comme moteur de l’invention littéraire et comme pilier de vie. La genèse de l’œuvre d'EJ est abordée dans sa progression, chaque œuvre analysée dans son contexte de production et de réception. Avec en arrière-plan les complexités du vécu personnel, le père d’origine juive survivant silencieux puis perdant la parole et la mémoire dans la maladie, la mère une battante qui dresse sa fille à être ce qu’elle n’a pas pu devenir : une musicienne, et veille sur elle jusqu'à ses 9X ans. Et ce qui s’en est suivi pour EJ : conscience hyperaigüe des nœuds relationnels, colère, provocation, retrait. Ce qui fait d'elle une écrivaine pythie, antenne de résonance des conflits sociaux, psychiques, culturels, pour secouer une société du faire-semblant en s'attaquant à tous les éléments du désordre ambiant. Jusqu’à devenir une écrivaine virtuelle, recevant son Prix Nobel par écrans interposés, qui ne publie plus que des textes pour la scène, et écrit désormais pour son site en libre accès.  Le comité Nobel lui décerne le prix en 2004 pour “le flot musical de voix et de contre-voix”, qui dévoile “avec une exceptionnelle passion langagière l’absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux”.  Son discours pour le Nobel : Im Abseits (en fr. 'Á l'écart') est sur son site :   www.elfriedejelinek.com et en fr. sur le site du  Nobel : https://www.nobelprize.org/prizes/literature/2004/jelinek/25211-elfriede-jelinek-conference-nobel/ 

 

Hans Erich NOSSACK (1901-1977) : L’effondrement. eds Héros-Limite 2021, Postface de Walter Boehlich 1961, 80 p. (Der Untergang, 1948). Nouvelle trad. J-Pierre Boyer & Silke Hass.   Un récit puissant, témoignage d’un survivant par hasard des bombardements de Hambourg en 1943 qui ont détruit la ville, personnel, pudique et dépouillé, et par cela universel. Récit où le JE qui témoigne erre entre passé effacé par les bombes et futur à inventer. Dans le chaos de l’impensable, des sentiments contradictoires s’entrecroisent : le soulagement : enfin c’est arrivé = la fin ; la tentative illusoire de chercher dans les ruines des traces de la vie d’avant : “nous n’avons plus de passé”; la parole devient inopérante, la haine est dérisoire, toute action est absurde, l’idée d’avoir possédé des objets est inconcevable, et même son journal tenu depuis 25 ans, disparu. “Nous sommes en dehors du temps”, devenus pur présent. Chacun, survivant ou réfugié, erre pour soi-même, mais le JE reste attentif aux autres souffrants, il ne craint plus qu’une chose : “être écrasé par la souffrance du sort commun”.  Ce récit dépouillé jusqu’à l’os, empathique jusqu’avec les chats errants et les arbres à moitié calcinés qui bourgeonnent, qui “se refont un printemps pour survivre”, impose le respect par son économie de moyens et sa grande humanité.

 

Katherine SAYN-WITTGENSTEIN, La Fin de ma Russie, Journal 1914-1919. Phébus, Paris, 2007, trad. Vera Michalski-Hoffmann. Vs. orig.  Als unsere Welt unterging, München, Siedler Verlag 1997.  Dans son journal retrouvé, la princesse Katherina Sayn-Wittgenstein fait preuve d’une perspicacité impressionnante, et inattendue, sur la société russe à l’époque de la révolution. Elle s’interroge sur le comportement de sa classe sociale dans de nombreuses situations vécues, réfléchit sur les erreurs, accuse, essaie de justifier. C’est un reflet captivant de la révolution russe vue de l’intérieur. K S-W décrit sa vie de tous les jours au début de la première guerre mondiale, son activité comme infirmière qu'elle abandonne par épuisement, son angoisse quotidienne à l'approche de l’armée allemande, son écœurement face à la brutalité des bolcheviks anéantissant l’aristocratie. Elle décrit son impuissance et celle de sa famille devant l’effondrement de la Russie, les torts de sa génération. Ce journal a été retrouvé au fond d’un tiroir bien des années après la fuite des Wittgenstein.

 

Michael STEGEMANN, Ich bin zu Ende mit allen Träumen, Franz Schubert. (non traduit),  roman biographique. Piper Taschenbuch 1998 (Piper 1996), 488 p.  Par un musicologue, la biographie romancée en forme de journal intime de Franz Schubert : langage intérieur et fragments de dialogues inventés, de son adolescence à ses derniers jours, en langue familière autrichienne. La structure du livre est biographique : Im Dorfe; 1797-1813; puis un chapitre par année jusqu'à sa mort en 1828 à 31 ans à peine. La vie de Schubert est éminemment romanesque : lutter pour être admis à vivre pour composer, un amour malheureux pour une jeune cantatrice, gagner de quoi vivre pour composer... Jaillissement d'idées, bouillonnement créatif permanent, révolte contre le père, contre la bienpensance religieuse et royaliste. Rage de vivre et surtout de composer : Tonsetzer und die Musizierrerei, c'est sa vie. Ex. : 8 Lieder en une journée marathon pour ses 8 amis qui le piègent dans une auberge, et des cantates, messes, quatuors, musiques de scène, symphonies. Viendra la maladie, et le typhus qui l'achève... Travail stylistique brillantissime : se tressent le langage parlé autrichien entre Franz et ses frères ou camarades d'école, de musique et de beuverie, le langage formel orné de la politesse hiérarchique du moment, "der Herr Vater", les courriers aux destinataires de ses œuvres pour qu'elles soient jouées en public et rémunérées..., le langage journalistique des annonces de concerts, des extraits de presse. Mais c'est un roman.

 

Uwe WITTSTOCK, Februar 33. Der Winter der Literatur, Roman. C.H. Beck. 2021 (+ Hörbuch, Argon Verlag). Trad. fr. Février 33. L’hiver de la littérature, Grasset, janvier 2023. L'auteur est journaliste et critique littéraire. Né en 1955 à Leipzig, sa famille s’est installée à Bonn en RFA en 1957. Il a travaillé comme éditeur de littérature contemporaine allemande et a été rédacteur littéraire à la FAZ (Frankfurter Allgemeine Zeitung) avec Marcel Reich-Ranicki. Le livre revient sur les événements qui se sont déroulés pendant le mois de février 1933 en Allemagne. Le 30 janvier Hitler est nommé chancelier. Aujourd’hui nous savons de quelle manière la prise du pouvoir par les nazis a changé la vie en Allemagne, en Europe et dans le monde entier. L’auteur a choisi d’évoquer ces changements du point de vue des personnes qui les ont vécus dans l´incertidude et l’ignorance de ce qui allait suivre. Jour par jour pendant un mois, il retrace les réactions des écrivains, journalistes et intellectuels devant la montée du régime nazi. Il rappelle les rôles publics et les situations personnelles de la famille Mann : Thomas, Heinrich, Klaus et Érika, de Bertolt Brecht, Erich Maria Remarque, Alfred Döblin, Carl Zuckmayer, Else Lasker-Schüler, Gottfried Benn… Avec une dramaturgie bien maîtrisée et dans un langage clair, Wittstock restitue l’ambiance de tout un pays frappé par l’insécurité et la violence. On suit la rapidité avec laquelle la dictature nazie s’est installée en Allemagne en février 1933. Livre fortement recommandable.

 

Natascha WODIN, Sie kam aus Mariupol, Rowohlt Verlag, rororo 2017.  Ed. frse Elle venait de Marioupol, À la recherche d’une famille perdue en Union Soviétique, Métailié 2020, trad. Alban Lefranc. Natascha Wodin est la fille de travailleurs ukrainiens déportés pendant la 2me guerre mondiale en Allemagne pour y travailler. Née en 1945 en Bavière dans un camp de personnes déplacées, elle vit à Berlin depuis 1994. Traductrice-interprète du russe, elle a publié plusieurs romans pour l’essentiel autobiographiques. Elle venait de Marioupol couvre un siècle de l’histoire d’une famille ukrainienne, de l’époque tsariste aux années 2000. "Elle", c’est Jewgenia Iwaschtschenko, la mère de l’auteur, née en 1920 dans une famille bourgeoise à Marioupol et qui s’est suicidée à 36 ans en Allemagne. Le livre raconte la petite histoire dans la grande. Par ses recherches généalogiques, l’auteur reconstruit les destins de cette mère et de membres de sa famille. Le récit parcourt les différentes catastrophes humanitaires qu'a connues l'Ukraine lors des deux guerres mondiales, de la révolution russe, du régime de Staline, de la montée du nazisme, et dans l’après-guerre en URSS et en Allemagne. Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, j’ai été particulièrement attiré par le titre du livre et la photo de couverture, et j’ai été intéressé d’apprendre des aspects de l’histoire de l’Ukraine longtemps méconnus de la majorité d’entre nous, comme le cas des "Ost-Arbeiter". L’histoire douloureuse de 20 millions de travailleurs slaves - non juifs - déportés, exploités comme des esclaves et parqués dans des camps de travail forcé pour l’industrie et l’agriculture allemande, reste largement inconnue en Allemagne. Ce livre est un témoignage humainement et historiquement très fort. Prix Alfred Döblin 2015. Prix de la Foire du Livre de Leipzig 2017.  Sie kam aus Mariupol est également disponible en allemand comme livre audio chez Argon Verlag (et sur Spotify).

 

Stefan ZWEIG (1881-1942), Le Monde d'hier, Trad. Serge Niemetz 1993, le Livre de poche. (Die Welt von gestern, 1944). Rédigé en 1941 alors que, émigré au Brésil, Stefan Zweig avait déjà décidé de mettre fin à ses jours, Le Monde d'hier est l'un des plus grands livres-témoignages de notre époque. C'est un livre testament, évoquant la Vienne flamboyante du début du XXe siècle, avant la chute. Vendu à 20 000 exemplaires chaque année, il résonne avec le monde actuel par son évocation des élites cultivées, vivant en vase clos, pour qui il était impensable qu’un Hitler puisse prendre le pouvoir, et dont la posture morale a provoqué un repli sur soi et la haine des « masses silencieuses », qu'on ne cherchait pas à comprendre. Il l’envoie à son éditeur à Stockholm peu avant son suicide, celui-ci le publiera en 1944.

 

Stefan ZWEIG : Marie-Antoinette, le Livre de poche. (Marie Antoinette. Bildnis eines mittleren Charakters. Insel, Leipzig 1932). 
https://www.grasset.fr/livres/marie-antoinette-9782246168645
https://www.babelio.com/livres/Zweig-Marie-Antoinette/63998 
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Antoinette_(biographie_de_Stefan_Zweig) 
et un site dédié à Stefan Zweig : 
https://www.stefanzweig.de/index.html

 

ESSAIS, FRAGMENTS

 

Ferdinand von SCHIRACH, Kaffee und Zigaretten, BTB-Verlag 2019.  L’auteur, qui est aussi avocat, est désormais mondialement célèbre pour ses chroniques judiciaires rassemblées dans les recueils Verbrechen (Crimes) et Schuld (Coupables), ainsi que pour le roman L’affaire Collini porté au cinéma. Recueil de divers textes brefs, récits, commentaires, souvenirs personnels (sa dépression et une tentative de suicide), rencontres, relevant du genre des  mélanges ou miscellanées. On retrouve aussi parfois des allusions à des procès où Ferdinand von Schirach a joué le rôle de défenseur.